♫ ThèmeAu commencement, il n'y avait qu'un gamin du Nordheim comme les autres. Fils d'une famille noble, il fut élevé dans un confort et une idée étriquée du monde. Les traditions de son pays étaient de rigides, faites de la même glace que le Nordheim lui-même. Il grandit à Valhöll, dans quelque demeure austère, encadré par les précepteurs compétents qui seyaient à son statut. Rien ne plaisait cependant plus à Ivar que de rêver à vivre des aventures, épris de liberté, n'ayant pas son pareil pour contourner ses obligations et devoirs afin de fuir dans son imaginaire, peuplé de dragons.
Son rêve était d'être dragonnier. Un rêve qu'il paya cependant si cher... Parfois les souhaits que l'on fait deviennent réalité. Parfois le prix est trop élevé.
Agé de quinze ans, Ivar voyait s'effilocher ses rêves de dragon, demeurant le fils de noble facétieux, celui qui n'aimait rien tant que de faire le mur, et ennuyait terriblement sa famille par ses frasques. Il aimait fricoter avec les jeunes filles lors de ses errances, batifolant en toute liberté, se sachant bien assez séduisant pour plaire. Légèrement imbu, il s'estimait trop séduisant pour ne pas en profiter pleinement. Il ne s'intéressait guère à son titre et aux richesses. On l'avait déjà promis depuis sa naissance à une jeune noble de Waterfield. Mais qu'avait-il à faire de ce boudin ? La jeune fille n'était ni gracieuse, ni jolie, bien qu'elle soit vive d'esprit. Et lors de ses visites, il prit plaisir à la tourmenter méchamment, espérant peut-être décourager ceux qui choisissaient à sa place. Ceux qui voulaient décider de son avenir à sa place. Cependant, la répartie d'Irène était sa meilleure arme et il se fit moucher plus d'une fois. Intrigué par la demoiselle, il en vint à l'apprécier. Un jour, sa laideur ne lui sembla plus si terrible, son embonpoint plus si repoussant, lui qui était si souvent hautain. Il en vint même à tomber amoureux de celle qu'il appelait méchamment "boule de gras" ou "Cochonnette". Leurs joutes verbales devinrent plus tendres, plus douces et finirent un jour de manière bien tendre.
Finalement, le parti honni devint source d'intérêt et il lui écrivit lors de leurs séparations, de tendres missives enflammées. Ils étaient deux adolescents idiots et Ivar était tombé amoureux pour la première fois.
Le mariage était convenu pour leurs seize ans, et, étrangement, Ivar se prit à être impatient. Finalement, les dragons n'étaient plus qu'un rêve de gamin qu'il abandonnait à regret pour devenir grand. Sa fiancée rendait cela moins amer.
Cependant, le destin aime à manier l'ironie comme une épée de Damoclès. La veille de ses seize ans, ils se mirent en route, toute la famille Björnhulf, tout pompeux qu'ils l'étaient, pour Waterfield et sa capitale, afin de célébrer le mariage.
Cependant, une terrible tempête, comme sortie de nulle part, précipita le navire sur des récifs, au large des côtes de l'Archipel Eye Of Storm. Pris dans un typhon d'une ampleur surnaturelle, le navire fut envoyé par le fond.
L'eau noire l'enserrait de toute part, avec cette impression atroce que ses poumons allaient éclater. Il tentait de crier et de se débattre, sans parvenir à faire plus que de s'empêtrer dans les cordages qui le retenaient au navire, le tirant inéluctablement vers la mort et les sombres abysses lui firent un doux tombeau de silence et d'obscurité.
Lorsqu'Irène Aderlen appris la mort de toute la famille Björnhulf dans le naufrage, la mariée, toute parée de son voile nuptial, se jeta dans l'océan comme l'on se jette dans les bras d'un aimé et l'y rejoint à jamais.
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Lindorm. Son rêve d'enfant. Un rêve tellement amer... Il avait tout perdu pour être dans ce lieu autrefois rêvé. Il avait survécu grâce à un miracle appelé Sleipnir.
Un dragon, surgit du fond des âges et des océans, créature mythique qui l'avait choisi lui, pauvre mortel moribond, après l'avoir tiré des eaux. Cet être puissant et ancien, choisit un simple gamin blond et éperdu de chagrin pour frère d'armes. Peut-être Savait-il des choses que les autres ne peuvent voir. Leur alliance fut pénible, car trop rapide. Sleipnir se moquait bien des chagrins mortels, et ne souhaitait patienter, bien que le temps ne signifia pas grand chose pour lui.
Ils furent envoyé en Nordheim, comme pour rajouter aux souvenirs vivaces et à la douleur d'Ivar. La mort le guetta de nombreuses fois et il ne dû son salut qu'à la puissance de son dragon. Ils manquèrent d'échouer, de très peu. Cependant, ils réussirent à mêler leurs sangs et ils entrèrent à la célèbre académie. Ivar, profondément marqué par la perte de tous ses proches et de sa fiancée, avait changé. Du gamin blagueur et fugueur, il ne restait qu'un triste sire, perdu dans une école fantasmée mais incapable de savourer ce privilège qui lui avait par trop coûté.
Il se réfugia dans les études comme d'autres boient pour oublier. Boire, il le fit aussi. Faire le mur, fuir ce nouveau carcan qui lui pesait. Boire, surtout. Pour ne plus penser. Pour tout fuir. Ce fut à cette époque qu'il rencontra celui qui allait devenir son meilleur rival et un ami cher.
Fergus fut son compagnon de chambre, témoin du penchant du tout jeune homme pour la boisson et témoin de ses réveils aux cris emplis de terreur. Fergus fut un moteur. Une étrange épaule. Fergus, si bon dans bien des domaines, si droit. Ce type qu'on raillait parce qu'il ressemblait à une femme, mais qui n'en était pas moins solide, viril... Tout les opposaient alors. Ivar était hanté de visions indésirables d'avenirs imprécis, impossible à endiguer, survenant souvent dans des moments aléatoires et inopportuns. Fergus était doué, avait un dragon gracieux comme un rêve, un charme androgyne... Et lui sombrait dans son désespoir comme dans l'eau glacée de Nordheim. Sleipnir était indifférent à ces émois, se contentant d'attendre que son dragonnier traverse cette passe.
Et puis un matin, il y eu cette vision, dans l'eau du lavabos. Il se vit, portant l'uniforme des Mirages Aquatiques, commandant aux troupes. Il était bien plus vieux, son visage s'était affirmé. Lui, dans l'armée ? Il était indiscipliné, alcoolique, dépressif... Il n'aurait jamais sa place. Pourtant, la vision le hanta, lui faisant miroiter le fait de remonter la pente, de s'en sortir... Peut-être s'en remettrait-il un jour alors ? D'élève médiocre et dissipé, Ivar remonta lentement la pente. Il parvint à reprendre un peu de poids, lui autrefois beaucoup trop maigre, commença à s'entraîner tous les matins. Lentement mais sûrement, il en vint à vouloir dépasser Fergus, à être aussi bon élève que lui.
Puis virent les premières vacances d'été et l'angoisse le fit replonger dans ses travers. Retourner à la demeure familiale, à présent vide ? Qui devait-il être. Où devait-il aller ?
Seul dans le manoir, il recommença à boire. Lindorm grouillait d'activité, c'était facile de ne pas trop penser. A présent que son dragon était loin, qu'il était livré à lui-même, il se renferma de nouveau sur lui-même, jusqu'à ce que la tentation fut trop forte. Il écrivit à Fergus. Une lettre d'adieu larmoyante de pathétique adolescent de dix-sept ans.
Il ne s'attendait pas que ce dernier fasse le voyage. Il avait prévu de mettre fin à ses jours à la date anniversaire du naufrage. Sa vision ne pouvait pas être vraie. Ce n'était qu'un leurre. Il ne sut jamais que Fergus fut guidé par Sleipnir, jusqu'à la demeure, où Ivar cuvait son alcool et ses idées noires.
Ce jour là, il fut sauvé, encore une fois, par ce garçon qui n'était qu'un camarade et un modèle à suivre. Fergus resta avec lui jusqu'à ce qu'il se rétablisse et lui jure d'abandonner l'alcool et Ivar finit par jurer, mis à terre après avoir voulu frapper l'Ignis, un genou sur la tête, les bras tordus dans le dos.
Puis il pu retourner à Lindorm. Il voulait essayer de devenir fort, malgré les visions qui l'assaillaient toujours, malgré sa faiblesse face à l'alcool et aux charmes des femmes. Parce qu'il avait dû jurer et qu'il n'avait, malgré tous ses vices, qu'une parole...
Fergus et lui devinrent d'étranges amis, aux airs de rivaux. Fergus n'hésita jamais à plier physiquement Ivar à sa volonté pour l'empêcher de sombrer. Ce fut ainsi qu'il tint bon.
Ils finirent par passer parfois une semaine de leur vacances ensemble. Un jour, Ivar rejoignit sa résidence secondaire dans les montagnes de Nordheim et y convia Fergus pour leurs dernières vacances à Lindorm.
Ce qui se passa dans ce chalet perdu demeure un secret entre eux. Le souvenir d'une nuit torride dans la froideur de l'hiver, où ils glissèrent sur une drôle de pente qui laissa Ivar à la fois troublé et honteux. Leurs deux corps qui se répondaient, leurs caresses coupables et ils perdirent tous les deux une autre virginité, enlacés ensemble pour une nuit.
Ils se jurèrent de ne plus jamais parler de cela. Un secret entre eux. Coupable et délicieux. Ils ne voulaient pas perdre leur drôle d'amitié teintée de rivalité. Ivar avait retrouvé le sourire grâce au futur capitaine. Un sens aussi, à sa vie. Il serait Capitaine, même Général pourquoi pas ! Ainsi il n'aurait plus jamais honte de lui-même. Ainsi il n'aurait plus jamais à rougir devant Fergus.
Intégrant l'armée, Ivar appris réellement à combattre, ainsi que la discipline, l'endurance, la persévérance. Il trouva sa place, malgré la séparation avec Fergus. Heureusement, ils parvinrent à se voir parfois lors de permissions. Courts moments de tranquillité dans leurs débuts de soldats. Il était évident pour Ivar qu'ils ne pouvaient être réunis trop souvent. Ce fut douloureux, après cinq années passées ensemble. Pourtant, il tint bon, il se l'était promis. Il se disciplina, gardant son but en tête et son don commença à s'affiner, se faisant moins aléatoire alors qu'il apprenait à se maîtriser.
Etre soldat apporta énormément à Ivar, qui se sentit pour la première fois en accord avec sa nature et ses ambitions. Il se posa, devint un homme, heureux d'entendre parfois l'écho des exploits de Fergus et tentant de faire au moins aussi bien pour l'épater. Il se tint loin de l'alcool, reprenant une vie normale, passant finalement lieutenant au bout de cinq ans de loyaux services. Il récolta quelques cicatrices, et se rapprocha de Sleipnir, parvenant enfin à maîtriser réellement son don, bien qu'il puisse encore arriver qu'il ai des visions de manière non préméditées mais elles devenaient rares.
Il connu quelques jeunes femmes, sans pousser plus loin leur relation. La vie devenait plus douce. Il passa Capitaine un an après Fergus, tout à sa fierté de pouvoir enfin être sur un pied d'égalité avec lui. Bien sûr, son ami lui manquait, violemment parfois. Mais il tint son rôle et ses ambitions avec un sérieux qu'il ne se connaissait pas.
Ce fut lors de ses trente-quatre ans qu'un nouveau coup du sort ébranla sa vie. Fergus. Son Fergy entre la vie et la mort... La nouvelle le fit sombrer dans un profond désespoir : Fergus avait sauvé une jeune recrue du feu d'un Wyrm et s'était pris de plein fouet la déflagration. Il supplia son général de lui donner une permission, à genoux. Et ce dernier s'inclina devant le désarroi de son subordonné, et le Capitaine fila au chevet de Fergus. L'ampleur des blessures de son ami était une torture. Vivrait-il ? Il n'en savait encore rien. Ivar resta des semaines au chevet de l'Ignis, terrifié de le perdre comme il avait perdu tous ceux qu'il avait aimé. Le désespoir l'enserrait et il avait l'impression de revenir bien des années en arrière, faible et démuni, comme si tout ce qu'il avait accompli n'avait servi à rien. Il pria, lui qui se moquait bien des dieux, avec une ferveur sincère, accordant son chagrin sur celui du beau dragon de son frère d'armes.
Peut-être ses pleurs secrets émurent-ils quelque dieu. Fergus fini par reprendre connaissance et jamais Ivar ne fut plus heureux qu'à cet instant. Il était vivant. Grièvement blessé, mais vivant. Ivre de soulagement, il ne lâcha pas sa main, la serrant dans la sienne, l'embrassant fiévreusement. Et au creux de son cœur éclot une haine nouvelle pour les Wyrms. Jamais il ne pourrait leur pardonner. Jamais. Ils avaient failli lui ôter la lune de ses nuits, celui qui était sa raison de se battre et d'exister encore. Et une aversion secrète pour celle qu'il avait défendu de son corps naquit également. Il n'y pouvait rien, il en voulait à cette Moïra pour laquelle son Fergus était défiguré.
Il lui fallu pourtant quitter la compagnie du blessé au bout d'un mois à veiller sur son repos, meurtrit.
Il revint au combat, la rage au cœur, la haine comme bouclier, et avec un triste espoir. Il avait eu la vision d'un Fergus rétabli et se raccrochait à cette croyance pour ne pas sombrer, bien qu'il se laissa de nouveau aller dans la boisson, au point qu'il manqua de faire tuer ses hommes lors d'un raid. Cela lui valu trois mois de mise à pieds. A croire que le démon blanc l'ait fait exprès pour rejoindre de nouveau le chevet de Fergus...
Sleipnir fut plus présent pour son dragonnier, curieusement, l'aidant à supporter cette épreuve. Les mois passèrent et Fergus se remit lentement, soulageant profondément Ivar, qui finit par revenir lentement à la normale, bien que sa haine pour les Wyrms n'ai jamais été aussi vive. Ce fut à cette époque qu'il retrouva une jeune dragonnière qu'il avait déjà vu à Lindorm et qu'il avait ensuite longuement perdu de vue. Devenue Lieutenant des Lianes Terrestres, il fut affecté à l'encadrement d'une mission à laquelle elle prit part. Céleste dénotait des autres. Elle et ses papillons avait une grâce qui le toucha d'autant plus qu'une vision l'assaillit alors qu'ils se reflétaient dans l'eau d'un étang. Mais leurs reflets étaient différents et s'embrassaient tendrement en se tenant les mains, semblant plus âgés.
Troublé, le Capitaine fut intrigué par cette femme aux papillons, si élégante et pourtant dont il pu admirer le courage et les talents de combattante. Il se rapprocha d'elle, doucement, l'apprivoisant lentement, après bien des fois où elle l'éconduit brutalement - il était trop sûr de son charme auprès des femmes et manquait bien souvent de subtilité pour une beauté délicate comme Céleste.
Le manque de Fergy le conduisait également doucement vers Céleste, qui finit après bien des difficultés, par se laisser aller à ses bras et sa vision se fit réalité. Ils devinrent amants.
Ivar finit même par l'aimer, prudemment, lui qui avait tant souffert. Elle était douce, sous ses dehors de brute. Il aimait à la taquiner, tout en cherchant dans sa tendresse un réconfort qu'il ne pouvait obtenir qu'après d'une femme. Fergus était un émoi d'enfant. Il avait besoin de lui, autant que de l'eau pour Sleipnir. Il ne pourrait le perdre. Mais le voir se mettre en danger pour une inconnue lui avait brisé le cœur. C'était donc ainsi ? Fergus n'était pas venu autrefois à son secours parce qu'il était spécial mais parce qu'il était fait ainsi, héroïque. C'était douloureux, de se penser monnaie courante dans le cœur de son ami. Alors il préférait sortir avec Céleste, avant que cela ne devienne trop dangereux pour son vieux cœur abîmé. Elle était facile à aimer et à admirer. Elle était belle, bien élevée et avait tout de ce qu'il aimait chez une femme. C'était plus simple ainsi.
A force de la côtoyer, il devint sincèrement amoureux d'elle. Fergus s'était remis à la guerre. Lui aussi. Et son coeur se pinçait parfois du besoin de le revoir, tout en sachant que ce ne serait possible avant longtemps. La guerre faisait rage et il était déjà périlleux de pouvoir rejoindre Céleste. Il s'écoula ainsi près de deux ans sans qu'il puisse voir Fergus. Ivar n'a guère changé, bien qu'il ai encore gagné en sérieux. A présent, malgré ses dehors séducteurs, il pense sincèrement demander Céleste en mariage. Il est temps de tracer un trait sur ses émois d'enfant, d'être un homme.
Mais le manque de Fergus est toujours là, tapi quelque part au plus profond de lui, comme le souvenir d'une seule nuit, d'une unique fois. Qui peut savoir au fond, quel avenir se réalisera ? A moins qu'Ivar ne le sache déjà...