Sortant de son bureau ce matin-là, quelques dossiers sous le bras, le directeur ferma la porte à clef, et se dirigea vers les étages supérieurs, en saluant les personnes qu'il croisait. La plupart d'entre eux étaient tout simplement surpris, les yeux écarquillés, bouche bée, voyant le directeur pour la première fois depuis des semaines, voire des mois. Certains ne faisaient que le croiser au réfectoire, ou dans les couloirs. Et pourtant ce jour-là, pas d'odeur d'alcool, une légère flagrance de tabac, et un sourire flottait sur son visage. Il n'était pas heureux. Il n'avait pas résolu tous ses soucis, non, n'allez pas vous faire des idées. Mais aujourd'hui était un jour particulier, et il s'y préparait depuis plus d'une semaine. Insidieusement, il avait préparé ses élèves également, les rares qui assistaient encore à ses rares apparitions scolaires. Mais personne ne se doutait réellement de ce qu'il préparait. Pas même les dragons. Et pourtant, leur présence serait requise, à presque tous.

Arrivé au deuxième étage, il alla déposer quelques parchemins à la bibliothèque, puis ressortit quelques minutes plus tard, une liasse de parchemins pliés dans une main. Il redescendit les escaliers deux à deux, de ses longues jambes, une main sur la rambarde, l'autre coude replié contre son corps. Il y avait longtemps qu'il n'avait plus fait d'exercice et ses articulations craquaient, mais il se sentait vivant pour la première fois depuis longtemps.

Sur le même rythme ou presque, il se rendit dans le couloir des dortoirs et alla déposer un parchemin dans chaque boîte à lettres des étudiants. Apparemment, tout le monde était concerné par ce qu'il avait prévu.

Finalement, il se rendit à l'extérieur et se dirigea vers les terrain. Par chance, le temps était au beau fixe et se prêtait parfaitement au cours qu'il avait improvisé pour l'occasion.

*Brynn, rapplique au terrain. Ça va commencer.
J'arrive*

La dragonne s'envola du lac où elle se prélassait, et atterrit près de son dragonnier, en arrosant un peu tout aux alentours.

-Merci, Brynn. Je me trouvais trop desséché.
-De rien, je trouvais aussi.

Liam partit d'un éclat de rire en remettant ses cheveux en arrière, tandis que la dragonne se couchait derrière elle dans le sable, en attendant que les étudiants arrivent. Bien sûr, il faudrait attendre un peu, mais cela lui permis de réfléchir encore à ce qu'il voulait leur faire faire. Il alla donc s'asseoir à sa place habituelle, sur la patte avant de Brynn, juste à la pliure du coude de la créature, qui garda son énorme tête posée dans le sable, les yeux fermés, mais attentive au moindre son et geste qui lui parvenait.

Enfin, quelques étudiants commencèrent à arriver, leur dragon suivant le mouvement dans les airs, ou par le chemin prévu. Liam se leva pour les accueillir et les salua.

Quand un groupe suffisamment important fut présent et que tous les étudiants furent là ou presque à l'heure convenu, Liam commença son cours.

-Bonjour à tous. Merci d'être présents pour ce cours exceptionnel. Pour l'occasion, vous êtes tous mélangés, quelque soit votre classe et votre année d'étude. Nous allons reprendre ensemble les bases des soins aux dragons, et finalement, je vous ferais faire un devoir pratique, en fonction de votre niveau. Plus abordable pour les 1ère, 2ème et 3ème années. Plus difficile pour les 4ème et 5ème année. Des questions ?

Il fit une pause pendant quelques secondes, puis continua en parcourant l'assemblée des étudiants de tout âge et de tout horizon.

-Premièrement, votre dragon, si possible, devra être présent. Si ce n'est pas le cas, mettez-vous en binôme avec un étudiant de la même classe que vous. Aqua avec Aqua, Ventus avec Ventus etc. Ainsi, vous pourrez réviser et pratiquer les soins sur un dragon du même type que le vôtre.

Il fallut quelques minutes pour que les dragons retardataires les rejoignent, puis il reprit.

-Bien. Reprenons les bases. Cela fera des révisions pour tout le monde.
Un dragon est un être pensant, au même titre que les humains. Je précise que quelques petites informations sont à rajoutées pour les dernières années. Nous avons appris depuis environ un an, un an et demi, que les humains sont en réalités les descendants des dragons. Nous sommes tous des enfants de Limlug. Limlug lui-même révéla ce fait à une femme, l'année dernière. Mais pour les cours d'histoire, merci de voir avec votre professeur. Bref, les dragons ne sont donc pas de vulgaires animaux de compagnie.

Il désigna d'un geste de la main sa propre dragonne présente, et d'un claquement de doigts, lui commanda de se lever. La dragonne ouvrit un oeil, soupira, ce qui souleva un peu de sable devant elle, et referma son oeil, comme si rien ne s'était passé.

-Voilà l'exemple type de la différence entre un animal de compagnie et un dragon. Vous pouvez éduquer un chien pour qu'il vous obéisse. Mais un dragon absolument pas. Votre dragon n'est pas un animal de compagnie, mais un compagnon de votre vie. Il pourra être comme un parent, un frère ou une soeur, votre meilleur ami. Vous ne commandez pas à vos amis, en leur claquant un doigt au nez. Ne le faites pas avec un dragon. Brynn, pourrais-tu te lever, s'il te plait, afin que je puisse illustrer mes propos qui vont suivre ?
-Tu me payes combien ?

Liam sourit et laissa passer les rires et les commentaires des étudiants. Quand le silence fut revenu, il continua.

-Voilà. Un dragon, n'est ni plus, ni moins, qu'un être pensant, avec une conscience, la parole pour certains comme Brynn, et un grand sens de l'humour !
-Mais je ne plaisante pas ! Combien de maquereaux au menu ce soir ?
-Ok ok... hm... double ration ?
-Ca marche.

La dragonne leva la tête, ramassa ses pattes, puis se leva de toute sa hauteur, dominant la foule. Elle n'était pas la plus grande des dragons à Lindorm, mais pas dans les plus petits gabarits non plus.

-Sachant cela, vous devrez toujours respecter votre dragon comme un membre de votre famille, ou un de vos amis. Evidemment, si vous avez coutume de traiter vos amis ou votre famille comme des imbéciles... cependant, ne vous attendez pas à la même réaction de la part de votre dragon, que de la part des humains. Si nous sommes des dragons à l'origine, nous n'en sommes pas moins différents à ce jour. Brynn ?

La dragonne s'avança d'un pas vers son allié et posa son énorme patte devant lui, de façon à ce que la foule puisse voir. Entre deux griffes se trouvait une entaille de plusieurs centimètres de large et de long. Du sang avait séché sur les côtés de l'entaille, mais la plaie elle-même saignait encore abondamment. Liam s'approcha avec précaution, mais ne toucha à rien encore.

-Un dragon, tout grand et fort qu'il soit, souffre autant que n'importe qui. Brynn n'était blessé en remettant le dragon d'un élève à sa place il y a quelques jours. Brynn a eu le dessus, mais non sans se blesser elle-même. Il s'agit là d'une blessure causée par le bord tranchant d'une écaille de son adversaire. Je ne l'ai pas soignée aussitôt, car j'avais prévu de vous la montrer pendant ce cours. C'est vous qui allez me dire quoi faire et comment. Ensuite, vous tenterez d'appliquer cela à votre dragon, en l'inspectant dans son ensemble à la recherche de la moindre blessure, et le soignerez.

Il s'approcha de sa dragonne et approcha sa main de la blessure. Bryn se mit alors à produire un espèce de grognement sourd, gueule fermé, venant du plus profond de sa gorge. Liam stoppa alors et se tourna vers les étudiants.

-Même le plus docile des dragon, peut se révéler la plus féroce des créatures quand la situation se présente. Brynn et moi n'avons jamais été à la guerre. Nous n'avons jamais été gravement blessé. Brynn n'a jamais connu ses congénères autrement qu'à Lindorm, du moins, depuis que nous sommes ici. Mais observez sa réaction à la perspective de la douleur. Elle se méfie de moi, et de ce que je pourrais lui faire. Un dragon, même allié avec un humain et vivant aux côtés des hommes depuis plus de vingt ans, n'en reste pas moins une créature sauvage, dans le sens où on ne domestique pas un dragon.

Il se tourna alors vers a dragonne, leva la tête et planta son regard dans le sien, puis d'une voix ferme mais douce, il dit.

-Brynn, je dois te soigner, car tu souffres. Je ne peux pas te laisser cette entaille saigner ainsi. Laisse-moi regarder, s'il te plait.
-Tu vas me faire mal.
-Je t'ai déjà soigné des blessures plus graves que ça.
-Justement ! Celle-ci n'est pas grave ! Laisse-la tranquille !
-Je dois leur montrer comment faire. Ils doivent apprendre. Ils doivent savoir quoi faire si cela leur arrive à la sortie de l'académie, tu comprends ?

La dragonne baissa la tête vers Liam, se mettant à sa hauteur. Elle le poussa du bout du nez, doucement, et se redressa.

-C'est bien parce que c'est toi.

Liam sourit et hocha la tête.
-Je ne te laisserai jamais aux soins de quelqu'un d'autre et tu le sais.

Il fit alors signe aux étudiants d'approcher, tandis que la dragonne détournait la tête, préférant regarder ailleurs. Il leur expliqua alors comment, à l'aide de linges propres, d'eau clair, et de décoctions d'herbes choisies, on pouvait d'abord nettoyer la plaie en douceur, puis appliquer un cataplasme qui aiderait la plaie à cicatriser. Il laissa sa dragonne en paix tandis qu'elle retournait près du lac pour s'y reposer, puis il demanda aux étudiants d'aller rejoindre leur dragon, et de l'inspecter sous tous les angles, à la recherche de plaies, de coupures, et même d'égratignures. Tous les dragons se blessaient, c'était inévitable, vu leur caractère et la proximité d'autant de gigantesques créatures dans un mêle lieu exiguë pour eux. Il passa entre les étudiants et leurs dragons pour les aider dans leur recherche. Mais le cours ne s'arrêterait pas là évidemment. Chaque chose en son temps.

« Tu crois qu'il est vraiment sérieux là l'ancien? »
« Allons donc Mjrn... C'est le directeur de Lindorm, pourquoi voudrais-tu qu'il ne le soit pas? »
« Ah c'est donc lui... Je me disais aussi que je l'avais jamais vu avant. Il aurait au moins pu nous prévenir en avance, j'avais envie de nager là... »
« Mais râle pas ma Mjrn, si tu veux je t'accompagnerai après ce cours, on ira nager toutes les deux ensemble. »

Mjrn laissa échapper un soufflement de contentement à la phrase d'Opaline. Plus que tout, la dragonne aimait nager avec sa "soeur". Elle trouvait d'ailleurs par moments les conversations de ses autres congénères un peu lassantes car selon elle, ils se préoccupaient trop de leur propre personne et pas assez des autres. En cela, Mjrn était semblable à Opaline. Bien que toutes les deux possédaient un côté égoïste, comme l'ensemble des êtres vivants, elles accordaient une importance capitale aux autres et à ce qu'ils pouvaient penser, c'est ainsi qu'on les avait éduqué dans les îles du sud.

Avant même qu'Opaline n'ait eu le temps de le suggérer, la dragonne s'approcha d'elle et s'allongea à ses côtés. Elle savait que ses seules blessures se limitaient à quelques égratignures ci et là qu'elle s'était faite en explorant les fonds marins entourant l'île. Minutieusement et comme à son accoutumée, la dragonnière inspecta chaque parcelle du corps de son partenaire, c'était là un rituel qu'elles avaient accompli chaque soir depuis le premier jour où elles avaient posé pied sur l'ile de Laragon et il ne fut pas étonnant de voir que, contrairement aux autres matières où la jeune adolescente ne brillait pas, elle excellait dans les soins prodigués à son dragon.
Sous les caresses que lui prodiguait Opaline, Mjrn laissa son corps s'ankyloser et ferma les yeux. Elle aimait sentir ces mains si familières parcourir son corps, elle ne pourrait d'ailleurs peut-être plus s'en passer désormais.

« Mjrn, tu as une hache d'armes qui s'est coincé sous une de tes écailles. Je vais devoir l'enlever. Je pense que ça va te faire mal, donc prépares toi. Souviens toi de ce que papa nous a montré pour ne pas penser à la douleur, ok? »
« Je suis prête, tu peux tirer. »

La jeune fille passa ses mains le long du dos de son dragon, avant de tirer doucement sur la coquille qui s'était profondément enfoncée et avait entaillé Mjrn. Cette dernière poussa un petit grognement mais se laissa faire sans émettre de résistance. À la force des choses, elle avait compris que moins elle tentait de se débattre et plus rapidement le calvaire se terminerait. Lorsqu'elle eut extrait le coquillage, Opaline suivit les recommandations que venait de lui donner le directeur et nettoya la plaie avec de l'eau fraîche avant d'y appliquer quelques herbes médicinales.

« Voilà, c'est fini! C'était comment? »
« Long et un peu douloureux... Tu penses qu'on peut y aller, maintenant? »
« Non, je ne crois pas. Il faudrait attendre que tous les autres aient terminés. »
« Ohlala... Avec tous ces pas doués qui se blessent à chaque fois qu'ils plongent, on est pas sortis de l'auberge... Tu continues de me gratter le dos? »
« Hihi, si tu veux oui. »

Sans se faire prier, l'adolescente s'exécuta en attendant que la majorité des autres élèves aient terminés. Elle avait déjà hâte de partir en plongée.

Jillah et Salaun étaient là tous les deux, écoutant sagement les propos du directeur qui était enfin sorti de sa torpeur. L'élève Terra en était sincèrement soulagée, elle était de nouveau déléguée de sa classe et elle avait besoin que Monsieur Fletcher soit en pleine possession de ses moyens lorsqu'il y avait des choses à arranger, ce qui n'avait pas vraiment été le cas ces derniers temps. Elle connaissait les raisons qui avait poussées le seaman à s'enfermer dans l'alcool mais il avait une académie à faire tourner! Alors le voir là, à leur enseigner ce qu'il savait pour les aider, c'était vraiment une bonne chose!

La jeune fille sourit et se tourna vers son dragon de Terre:

-A nous! Prouvons à notre cher directeur que nous sommes bien là depuis trois ans et que ses cours ont porté leurs fruits.

Salaun, contrairement à beaucoup de ses congénères, aimait qu'on prenne soin de lui, alors il se laissa faire docilement. Après tout, Jillah le nettoyait régulièrement, ce qui l'empêchait souvent d'être assailli par toutes sortes de parasites. Par contre, ses griffes étaient un peu abîmées, à force de creuser la terre pour chercher des racines ou autre. La jeune fille prit donc un linge propre pour les nettoyer et surtout pour soigner les petites plaies qu'il pouvait parfois avoir entre les griffes.

Le jeune dragon la regardait faire avec attention, grognant parfois lorsqu'elle manquait de douceur ou qu'elle appuyait sans faire exprès là où cela faisait mal.

-Hum...tu as une écharde coincée ici. Fais-moi voir...mais comment tu t'es fait ça toi? Et en plus tu ne dis rien...

-Je n'ai pas pour habitude de me plaindre tu sais bien et puis je le sens à peine.

Un soupir s'échappa des lèvres de l'étudiante qui mit ses poings sur ses hanches:

-Il faut que je te l'enlève avant que ça ne s'infecte.

Salaun roula ses yeux oranges et grogna pour la forme:

-Tu vas me faire la vie impossible si je refuse.

-Tout juste.

Le dragon se mit à rire doucement malgré son appréhension et tendit la patte tandis que Jillah s'accroupissait pour nettoyer d'abord la plaie autour avec un linge propre, puis, elle appuya sur sa peau tandis que de son autre main, elle retirait la grosse écharde en tirant d'un coup sec. Un peu de sang gicla tandis que Salaun émettait un grognement, mais Jillah avait gagné. Elle prit de quoi désinfecter sa blessure et lui faire un pansement puis laissa sa patte tranquille:

-Et voilà!

Le dragon lui souffla au visage et la laissa lui flatter le museau avant d'y déposer un petit bisou. Elle lui soigna aussi une blessure au niveau de la queue et tout en s'attelant à la tâche, se prit à réfléchir à ce que le directeur leur avait dévoilé. A savoir qu'ils étaient les descendants des dragons...qu'est-ce que cela signifiait? Ils n'avaient pourtant rien de commun avec les dragons, hormis la conscience et l'intelligence, bien que limitée pour certains, physiquement, il n'y avait rien. Mais d'un autre côté, cette idée lui plaisait, parce qu'elle avait toujours considéré Salaun comme son grand-frère, bien qu'il soit plus jeune qu'elle en réalité. Il avait une certaine sagesse déstabilisante parfois.

Les cours de soin était une matière que Raphaël appréciait et appréhendait à la fois. Angelus pouvait se montrer si calme et docile parfois et au contraire agressif et tête brûlée l'instant suivant. Ils avaient beau s'entendre, leur relation et leur coopération était loin d'être parfaite.

Le grand dragon blanc était debout à ses côtés, le dominant de toute sa hauteur, sage pour l'instant, semblant écouter le directeur. Le jeune hermaphrodite regardait discrètement autour de lui, lorsque la directeur annonça que les humains étaient des descendants de dragons. Cette information fit rire Angelus qui se demandait bien en quoi ces petites et fragiles créatures pouvaient bien avoir un rapport avec eux.

-Angelus!

-Excuse-moi mais l'idée que tu sois descendant de dragons comme tes camarades humains...je trouve ça grotesque.

Raphaël plissa les yeux et serra les dents, vexé:

-Crétin va.

Le dragon blanc leva les yeux au ciel et soupira avant de le pousser doucement avec sa patte:

-Boude pas va!

-Je ne boude pas! En tout cas, j'espère que ce n'est pas toi qui a blessé le dragon du directeur!

-Qui sait...

L'étudiant Ventus grogna et poussa un profond soupir avant de se rapprocher d'Angelus:

-...tu me laisses t'inspecter?

-Ok...essaies de ne pas te blesser ou je vais encore avoir plein de sang sur mes écailles toutes blanches. Ca ferait un peu tâche avoue.

-Très drôle, vraiment...

Raphaël garda cependant son conseil en tête, les écailles du dragon blanc étaient très coupantes et il s'y était déjà blessé plusieurs fois. Alors, lorsqu'il passa sa main sur les écailles, il fit bien attention de ne pas toucher les bords, posant sa main bien à plat, soulevant délicatement certains endroits où quelque chose de pointu aurait pu se coincer. Pour ne pas se couper, il avait prit un linge propre et écartait parfois certaines écailles. Il trouva quelques brindilles, des griffures et des morsures qu'il soigna de son mieux en retirant délicatement les écailles abîmées. Il en garderait sûrement une si son dragon le lui permettait, elles étaient si belles lorsqu'elles reflétaient les rayons du soleil.

Une fois son inspection et les soins nécessaires prodigués, Raphaël était épuisé. C'était que son dragon n'était pas petit...Il avait réussi à se blesser malgré ses précautions et il ne s'en rendit compte qu'une fois les soins effectués. Une longue griffure s'ouvrait sur son avant-bras:

-Raphaël...tu saignes.

Le dragon s'assit sur son céans tandis que le jeune hermaphrodite levait le bras pour regarder sa coupure:

-Ca va aller, ce n'est pas très profond.

Il se soigna lui aussi et se fit un pansement provisoire:

-Pas besoin d'embêter l'infirmière.

Un sourire éclaira son visage alors qu'Angelus le regardait, perplexe.

-Quoi?! J'ai jamais été une chochotte, ça va pas commencer maintenant! C'est rien ça, si je commence à pleurer pour une petite coupure, qu'est-ce que ce sera sur le champ de bataille!

Cette fois, le rire d'Angelus, aussi léger que le vent, résonna sur le terrain.

Cela faisait maintenant cinq minutes qu'une jeune fille aux yeux accusateurs campait sur ses positions face à un dragon centenaire aussi buté qu'elle. Si Eloane avait été des plus enthousiastes en apprenant qu'un cour sur les soins aux dragons était enfin donné aujourd'hui le plus concerné dans l'histoire ne semblait même pas avoir envie d'ouvrir les yeux pour laisser la petite Roussette y lire tout l'ennui que la perspective de se rendre là-bas lui inspirait. Non, ce n'était même pas de l'ennui, Silvarey n'avait pas envie de s'y rendre et Eloane n'était pas dupe, elle connaissait d'ailleurs parfaitement la véritable raison du stoïcisme de son compagnon.

« Vieux grincheux rabougri, personne ne va te demander quoique ce soit. »

« Si personne n'a rien a me demander alors ma présence n'est pas nécessaire. »

« Moi, je te demande d'être là. »

Ses yeux perçants rencontrèrent enfin ceux du noble dragon. Silvarey plongea son regard neutre dans celui adorablement déterminé de la jeune dragonnière, sembla réfléchir quelques instants puis fit mine de se rendormir. Ne sentant aucune réaction de la part de sa protégée il ouvrit un œil. Elle était assise dos à lui, immobile. Intrigué il releva la tête et tenta de la pousser délicatement.

« Tu vas être en retard. »

« Ça vaut mieux que d'y aller sans toi, assura-t-elle. »

« Si tu n'y vas pas tu te feras réprimander, dit-il sévèrement. »

« Tu n'as pas l'air de t'en soucier plus que ça, lâcha-t-elle la voix pleine de sarcasmes. »

Silvarey gronda et releva haut la tête, et le voilà piqué au vif. Eloane resta de marbre mais elle ne put empêcher un léger sourire en coin de poindre sur ses lèvres. Silvarey détestait qu'Eloane remette en doute son attachement pour elle, les actes parlaient bien plus que les mots et le dragon aigri n'aimait pas parler de ses sentiments.

Soudain il leva son impressionnante masse du sol et commença à avancer vers le terrain où le cours devait se dérouler. Tandis qu'il dépassait la Roussette celle-ci affichait un sourire satisfait et victorieux. Elle lui faisait vraiment faire n'importe quoi. Eloane trottinait à ses côtés, visiblement ravie, un rire discret lui échappa lorsqu'elle sentit Silvarey ruminé faussement exaspéré.

Eloane aimait prendre soin de Silvarey, cependant ce dernier n'était pas toujours coopératif aussi la jeune fille manifestait un intérêt tout particulier au cours de soins aux dragons. Son noble compagnon avait beau être d'une sagesse et d'une résistance infinie, ses proportions donnant une certaine grâce à ses mouvements lents lui conféraient également une maladresse digne d'une éléphant dans un magasin de porcelaine. Silvarey avait tendance à se cogner dès qu'il ne prenait pas son temps, et au final cela arrivait plus souvent qu'on ne pouvait le penser.

Bien sûr il râla pendant le discours du directeur, de toute façon Silvarey n'aimait pas les gens de l'académie. Il avait l'impression qu'ils lui volaient Eloane. A cause d'eux la Roussette passait beaucoup moins de temps avec lui. Le dragon songea au temps où elle venait tous les soirs s'assoupir contre son flan et se demanda depuis quand ce n'était pas arrivé. Il secoua la tête en trouvant la réponse, trop longtemps. Même maintenant qu'il avait fait l'effort de venir à ce cours, qu'ils étaient ensemble, toute l'attention de sa protégée était tournée vers le Seaman. Si Eloane connaissait un peu mieux le jeu des sentiments elle aurait su donner un nom à ce qui titillait sournoisement son compagnon, la jalousie.

« Tu es bien silencieux d'un coup, glissa Eloane. »

Il grogna, dérangé dans ses réflexions et chercha hâtivement une excuse à son soudain mutisme.

« Je ne vois pas l'intérêt d'écouter un homme déblatérer de telles évidences. »

« Oh, tu veux dire que tu savais que les hommes descendaient des dragons et que tu ne m'en avais jamais parlé ? demanda-t-elle dans un léger reproche. »

Le silence qui accueillit sa question l'assura d'une chose.

« Tu n'as absolument pas écouté ce que le professeur a dit. »

« Je suis venu parce que tu me l'as demandé et certainement pas pour écouter cet homme dire des choses que je savais déjà, se justifia-t-il de façon agressive. »

Eloane soupira et préféra ne pas s'engager de suite dans une conversation qui risquait de rendre Silvarey de plus en plus irritable. Si elle était intriguée par les propos du directeur sur la filiation liant humain et dragon elle sentait que Silvarey s'était assombris et n'était pas d'humeur à parler de ça. Elle était habituée à son caractère d'ours mal dégrossi aussi cette nouvelle saute d'humeur ne la formalisa pas plus qu'une autre.

« Lève-toi, s'il te plaît. Je dois voir si tu n'es pas blessé quelque part. »

« Je vais bien, assura-t-il devenu un peu plus aimable. »

« Comme d'habitude, souffla-t-elle en levant les yeux au ciel, aller, lève-toi. »

Il râla, mais plus pour la forme qu'autre chose, Eloane en était sûre et certaine. Quand il fut debout sur ses quatre pattes la surplombant de toute sa hauteur la jeune fille commença sa prospection. Il n'avait rien sur le poitrail, son ventre et l'intérieur de ses pattes ne présentaient rien d'anormal.

« Pour l'instant ça à l'air d'aller. »

« Évidemment que ça va ! »

« Doucement, j'ai bien le droit de m'inquiéter pour toi, non mais ! »

Il se tut et Eloane continua son inspection. Elle monta alors sur son dos en se servant de la queue de son compagnon comme d'un escalier et là tourna son regard vers ses ailes. Silvarey volait peu et le plus souvent ne faisait pas attention à ses ailes quand il était sur terre. Comme elle s'y attendait cette fois encore il avait trouvé le moyen d'entailler au niveau de quelques articulations ces appendices bien trop peu estimées par le dragon.

Quelques instants plus tard, après avoir convaincu Silvarey de la laisser faire, elle passa armée d'un linge propre et d'eau claire nettoyer chaque entaille au prix de quelques escalades périlleuses. Malgré la bonne volonté du dragon sa taille mettait l'intégrité physique d'Eloane en danger, la moindre chute pouvait au mieux la blesser et au pire la tuer, mais savoir qu'elle prenait ces risques pour lui le rendait, il fallait le dire, beaucoup plus attentif et obéissant à la moindre injonction de la jeune humaine.

Quand elle eut fini elle se laissa choir sur le dos de son compagnon, exténuée par tant d'exercice. Crapahuter sur le dos d'un dragon était loin d'être de tout repos, quand en plus il fallait solidement se tenir contracté et stable pour le soigner en équilibre sur différentes parties de ses ailes il valait mieux se munir d'une sacré détermination qu'heureusement la jeune humaine possédait.

« Fini, je ne t'ai pas fait trop mal ? s'enquit-elle. »

« Non, c'est à peine si j'ai senti quelque chose, répondit-il d'un ton rassurant. »

« Tant mieux... »

La jeune fille bailla, depuis son arrivée à l'Académie Eloane avait du mal à faire des nuits complètes loin du dragon. Le contact familier des écailles dans son dos lui rappela comme il était agréable de dormir contre cette immense boule d'amour.

« Tu devrais dormir, Lona. Tu en as besoin. »

« Pas maintenant, Silvarey. Le cours n'est pas terminé. »

« Je te réveillerai si ton professeur à de nouveau quelque chose à vous dire. »

Eloane sourit tendrement et faillit bien céder à la douce tentation, finalement elle se leva à contre-cœur et descendit précautionneusement du dos de Silvarey. Le grand dragon confortablement couché avait posé sa tête sur ses pattes croisées et tourné son regard d'or vers sa chère petite humaine. Elle alla se mettre à sa hauteur et posa sa main sur la tête du centenaire, la laissant glisser le long de ce qui lui semblait être une joue.

« C'est très tentant mais je ne peux pas faire ça. »

Il commença à émettre un léger grognement de protestation.

« Nous irons faire une sieste tous les deux après les cours si cela ne te dérange pas. »

A la lumière qui venait de s'allumer dans les yeux jaunes du dragon Eloane sut qu'il était plus que ravi par la proposition et frétillait d'impatience à l'idée de se retrouver enfin seul comme autrefois avec la jeune humaine. Cette fois, ce changement brusque d'attitude fit rire la jeune fille qui se lova contre le grand dragon et resta assise tout contre lui toujours en affichant ce léger sourire propre aux gens qui sont heureux.