- Hmmm ha ! Une journée qui commence bien !

L'électricité voletait dans l'air sous l'effet du gros orage qui avait éclaté ce matin, ce qui mettait Nicola de bonne humeur. Il avait toujours adoré sentir cette pulsion invisible due au temps qui n'était pas très favorable. Déambulant tranquillement dans l'académie pour se rendre à la réunion de ce matin, il ne s'était pas embarrassé d'une tenue trop formelle : t-shirt bleu marine et jean clair délavé, sur une paire de baskets blanches.

Sifflotant d'un air guilleret, il atteignit enfin la salle de réunion. Fort heureusement, il avait laissé les dossiers de ses élèves la vieille sur la table, de sorte qu'il n'aurait pas à se les trimbaler ce matin. Ce fut donc les mains dans les poches qu'il s'installa à sa place, la pile de dossiers devant lui.

Saluant tout le monde d'un signe léger de la main, il se balançait sur sa chaise en regardant l'horloge pointer neuf heures pile... Au moment où Liam allait prendre la parole pour entamer les festivités, Nicola se releva subitement.

- Je vais voir ce que fait Jan. Ce n'est pas dans ses habitudes d'être absente à une réunion de ce genre. Commencez sans nous, nous rattraperons le retard.

Un petit sourire espiègle, un signe de main et pfiouutttt ! Un Nicola d'évaporé !

Il fallait dire que ces réunions le barbaient sérieusement et tous les prétextes étaient bons à prendre, encore plus quand ils concernaient Jan Wennerström. Marchant sans se presser, il gardait le nez en l'air dans son attitude familière de j'm'en-foutiste et arrivait dans le dortoir du personnel, devant la porte de la Nordenheimir.

Toquant doucement trois petits coups, Nicola s'annonça.

- Jan ? Vous êtes là ?

Puis il attendit une réponse et selon ce qui arriverait, il agirait... Certainement...

Regardant la porte en attendant une réponse qui ne viendrait peut-être pas, Nicola patientait tranquillement, loin de se douter de ce qui se tramait à l'intérieur. Une voix étouffée lui répondit, fiévreuse et agitée, lui refusant tout simplement l'accès à ses appartements.

Jan était malade. Nicola n'attendit pas une seconde de plus, son instinct d'ange-gardien sonnant pour la énième fois.

- J'entre.

Nulle demande, aucune appréciation, rien. Juste l'envie de l'aider. Poussant la porte, il la ferma derrière lui et s'approcha du lit à baldaquin très élégant, avec sa propriétaire couchée sur le flanc, dont on pouvait lire la souffrance sur le visage.

*Améthyst, dis à Liam que je reste auprès de Jan, s'il te plaît. Elle n'est pas en état d'aller où que ce soit.*

*Très bien.*

*Merci.*

Il ne prononça pas un seul mot devant Jan, observant cette dernière. La sueur baignait son front et on pouvait voir la lutte acharnée qu'elle menait pour faire face à la douleur. Se détournant subitement, Nicola se dirigea vers la salle de bain, fouilla sous le lavabo pour y trouver un broc qu'il remplit d'eau froide et y déposa le premier gant qu'il trouva.

Revenant dans la chambre, il posa le tout sur la table de chevet, prit le gant imbibé d'eau fraîche, l'essora doucement et essuyait doucement le visage de Jan sans même lui demander son avis.

- Que vous arrive-t-il ? C'est bien la première fois que je vous vois dans cet état.

Il ne souriait pas, se contentant de mettre beaucoup de douceur dans ses paroles, en espérant que Jan serait trop faible pour protester. Lutter contre la fièvre était toujours très crevant...

Poussant un soupir blasé, Nicola allait prendre une chaise pas loin pour s'asseoir dessus. Il savait qu'il venait de violer son intimité mais ce n'était pas grand chose au regard de ce qu'il pouvait maintenant faire pour elle.

Jan était mal en point, protestant uniquement dans le but de se terrer plus profondément dans son lit pour se lécher la plaie, telle une lionne blessée. Nick connaissait trop bien ce comportement pour le voir perpétuellement sur Liam. Ces deux-là avaient beaucoup plus de points communs qu'on ne pouvait le croire.

Souriant chaleureusement à Jan alors que cette dernière tournait la tête, Nicola ne pouvait s'empêcher de se faire du soucis pour elle.

- Où avez-vous mal ? C'est inutile de me mentir, votre visage et votre corps parlent pour vous. Laissez-moi vous aider.

Juste de la sollicitude. Il ne pouvait supporter de voir quelqu'un de bien souffrir, et Jan était quelqu'un de bien, malgré ses airs revêches et d'un autre temps, il en avait l'intime conviction. Et la voir dans cet état réduit le poussait à lui venir en aide.

- Ne faites pas la fine bouche. Vous êtes incapable de vous lever et tout juste capable de me dire d'aller voir ailleurs ! Plus vite vous me laisserez faire, plus vite je serai parti, c'est vous qui voyez !

Levant les mains en signe de paix, il attendit tout de même de voir quel chemin Jan allait prendre : la fierté ou la santé ?

Il fallait croire que la Miss Jan portait de belles oeillères en peau épaisse de saucisson sur les yeux... Bon, ce n'était pas faute d'agir la plupart du temps comme un bouffon et de prendre des airs de parfait idiot, mais là, c'était pousser le bouchon un peu trop loin.

D'ordinaire, Nicola était loin d'être quelqu'un de violent ou même d'autoritaire, mais dans le cas présent, Jan continuait à provoquer cette partie de lui qu'il s'efforçait de faire taire. Il détestait tout ce qui avait trait de près ou de loin à toutes ces émotions qu'il considérait comme négatives, mais là, ça devenait carrément de la connerie.

Liam avait averti Améthyst qu'un médecin allait arriver à l'académie dans très peu de temps pour examiner Jan. Fixant la malade d'un oeil sévère, il posa les mains à plat sur le lit.

- Maintenant, j'en ai plus qu'assez de vos jérémiades. Le médecin va arriver sous peu, pas la peine de vous époumoner. Vous allez vous taire et me laisser vous aider à soulager votre douleur.

Nick n'aimait pas ça du tout mais nécessité faisant loi, il avait ressorti son ton polaire et un brin arrogant, qui ne souffrait aucun refus. Jan avait plutôt intérêt à l'écouter sérieusement.

- Je ne fais pas ça pour vous emmerder, comprenez-le bien. Mais si vous êtes malade, qui va s'occuper de votre travail ?

Il appuyait là où ça faisait mal et le savait parfaitement. Si Jan ne se rendait pas à ses arguments, Nicola pouvait devenir impossible et l'assommer pour qu'elle se tienne tranquille. Au moins, elle n'aurait plus mal et arrêterait de geindre. Se radoucissant légèrement, il plissa les yeux.

- Répondez-moi à présent. Où avez-vous mal ? Les ondes de mes mains peuvent anesthésier la douleur.

Le lostreg voyait bien les efforts qu'elle faisait pour se dissimuler le plus possible sous la couette. Allait-elle enfin le laisser agir ?

Un maelström d'émotions vint percuter Nicola à la vue du spectacle que Jan lui imposait sous la force de la colère...

Horreur...
Non pas pour ce qu'il avait sous les yeux, mais pour ce qu'elle avait vécu. Jan était une personne très forte, il devait en convenir. Garder la face avec un tel handicap, c'était loin d'être une partie de plaisir, même s'il ne le vivait pas personnellement.

Compassion...
Car Nick n'était pas du genre à éprouver de la pitié. La pitié, c'était pour les faibles, et Jan n'entrait résolument pas dans cette catégorie. Mais la compassion pour sa douleur était terrible. Il se rendait compte qu'elle avait dû traverser bien des épreuves pour en arriver là.

Colère...
Une ire à faire trembler tout un continent. Nicola avait une vague idée de comment la chose avait pu se produire, il avait lu les faits d'armes de Jan avant son entrée à l'académie. Il lui manquait juste l'info qu'il avait maintenant sous les yeux pour comprendre la manière dont elle était parvenue à intégrer le cercle des professeurs. Il espérait juste un jour tomber sur le coupable pour le lui faire payer au centuple.

Admiration...
Parce que Jan était très forte, elle dissimulait habilement ce défaut physique, comme une imperfection maquillée pour ne pas être observée. Elle avait dû beaucoup souffrir jusqu'à maintenant.

Et tout un tas d'autres sentiments qu'il se refusait tout net à analyser. Ce n'était pas le moment. Pour l'instant, la Nordenheimir souffrait le martyr, les larmes refusant de déborder de ses si beaux yeux. Mais elle continuait à mettre sa patience à rude épreuve.

Poussant un énième soupir, découragé cette fois, il secoua la tête.

- En effet, vous êtes plus têtue qu'une bourrique qui ne refuserait pas de se soigner, elle !

Reprenant le gant pour le gorger une nouvelle fois d'eau froide et l'essorer afin de le lui passer sur les joues et le front avec douceur, Nicola réfléchissait à ce qu'il pouvait faire pour qu'elle cesse de se comporter comme une enfant gâtée.

- Je n'ai pas besoin de vraiment vous toucher, si c'est ça qui vous fait peur. J'ai juste à apposer mes mains à cinq centimètres de vous pour vous envoyer une petite décharge qui va calmer vos nerfs en attendant que le médecin arrive, ce qui ne devrait plus tarder à présent. Soyez raisonnable pour une fois, acceptez !

Nicola priait pour que cette solution satisfasse Jan, sinon il allait être bon pour gueuler un bon coup avant de la mettre KO, ce qui ne plairait certainement pas au médecin...

Cette soudaine passivité avait de quoi déstabiliser. Lui qui avait vu beaucoup trop souvent Jan se rebeller et s'aigrir devant des comportements insensés la voyait maintenant agir comme une poupée sans vie, sans volonté, terne et embarrassée. Elle n'avait rien de la femme qu'il avait appris à connaître et semblait à bout de force.

Mais c'était ça aussi qui lui plaisait chez elle. Ses multiples personnalités, tantôt forte et invincible, tantôt fragile et vulnérable, Jan était un savant mélange de féminité et de fermeté qui l'avait séduit déjà des années auparavant, même s'il ne l'avouerait jamais à personne. Nicola ne l'avait jamais vue comme une infirme, encore moins maintenant, cela aurait été une insulte à son encontre et le lostreg avait coutume de dire qu'on ne jugeait pas un homme à son apparence, plutôt à ce qu'il a au fond de lui.

Se penchant vers Jan, il laissa aller légèrement le dos de ses doigts sur sa joue dans une caresse à peine perceptible, repoussant des mèches de cheveux qui s'étaient égarées là. Il posa sur elle un regard incroyablement doux avant de déplacer ses mains au-dessus de la coupure nette de sa jambe absente.

- Attention, ça va piquer un peu mais vous ne sentirez plus de douleur après ça.

Se concentrant un tant soit peu, Nicola rassembla une petite quantité d'électricité statique contenue dans l'air de la chambre et l'envoya par une seule et unique impulsion. Jan se crispa sous le choc puis se détendit, alors que le soulagement devait lui faire un bien fou.

S'écartant aussi vite qu'il le pouvait, Nicola refit une dernière fois le geste du gant pour apaiser la chaleur de la douleur enfuie, reposa le tissu sur le brock et se leva brusquement pour se diriger vers la porte. Il n'avait plus rien à faire ici. Se retournant une dernière fois, il avait pris sa décision et l'annonça en chuchotant presque, peu importait qu'elle l'entende ou pas.

- Arrivera un jour où tu ne pourras plus éviter de me faire confiance...

Puis il sortit en claquant la porte. Arrivait tout juste le médecin avec Liam.

- J'ai réussi à apaiser ses souffrances pour quelques heures. À vous de jouer.

Sans faire le moindre discours, la mine un peu renfrognée, Nicola s'enfuit alors que le bruit de la porte de la chambre de Jan s'ouvrait et se fermait dans le même temps...