*Thème*Dans une modeste maison de Corynth située sur l’île d’Elcatora, dix neuf ans plus tôt:
L’orage faisait rage autour de la demeure appartenant à Alon et Marianne Darragon mais personne n’y faisait vraiment attention. L’agitation était à son comble, les frères d’Alon étaient tous là pour assister à la naissance de leur neveu ou de leur nièce. Tous s’affairaient, aidant le jeune couple de leur mieux jusqu’à ce que le médecin arrive. Marianne était allongée dans le grand lit de la chambre, pâle et haletante, tandis que son jeune mari lui tenait la main, veillant sur elle. Le médecin les rejoignit et les cris de la future mère firent rapidement oublier le tonnerre qui rugissait à l’extérieur.
Cela sembla durer une éternité, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que le silence, puis, enfin, les cris d’un nouveau-né.
Les trois frères d’Alon attendirent qu’il sorte, partagés entre la joie et l’impatience. Mais le silence qui régnait finit par les angoisser. Kaël, le plus jeune des frères de l’heureux père, se risqua à tendre la main pour frapper, mais juste au moment où il allait le faire, la porte s’ouvrit. Alon avait une expression indéchiffrable sur le visage, ce qui ajouta à l’inquiétude de ses frères qu’il rassura sur l’état de santé de tout le monde. Marianne était très fatiguée, elle avait juste besoin de repos, quant au bébé, il était en pleine forme.
Le frère aîné d’Alon lui demanda alors quel était le problème et le jeune homme peina à lui expliquer que son enfant était né avec une particularité qui le rendait perplexe. Tout le monde fit de son mieux pour le rassurer et il retourna voir sa femme qui regardait le petit être avec tout l’amour du monde :
-Il s’appellera Raphaël. Tu es d’accord ?...ça lui va tellement bien…
Elle serra faiblement la main de son mari qui acquiesça en souriant et en les embrassant tous les deux sur le front. Raphaël, ça lui allait, il en ferait un homme solide malgré tout ! Il se le promit en souriant à son « fils ».
Huit ans plus tard, Raphaël était devenu un enfant adorable, faisant le bonheur de ses parents, de sa mère surtout, qui, à cause d’une maladie qui se déclara peu de temps après sa naissance, ne put avoir d’autres enfants. Alors, elle reporta tout l’amour qu’elle ne put donner à d’autres enfants sur Raphaël, qui le lui rendait bien.
Alon était en mission avec son escadron d’élite depuis quelques jours et ce jour-là, Marianne avait laissé son fils au village pendant qu’elle rendait visite à une de ses patientes.
Raphaël était fier de ses parents, son père était un grand soldat, gradé, fort et courageux, et sa mère, douce et tendre, était le médecin du village. Ses soins particulièrement efficaces lui avaient valu une réputation qui s’étendait sur toute l’île d’Elcatora. Souriant, le jeune enfant se promenait tranquillement dans la rue quand un groupe d’enfants d’une douzaine d’années environ lui barra la route.
Encore insouciant, Raphaël leur sourit mais les garçons se mirent à se moquer de lui avant que l’un d’eux ne le saisisse par les épaules en l’entrainant dans une ruelle.
-Il parait que t’es pas comme tout le monde !
-Ouais, t’es un garçon ou une fille ?
Tétanisé, Raphaël ne bougeait pas, se demandant ce que ces enfants pouvaient bien lui vouloir, jusqu’à ce que l’un d’eux ne s’approche et ne soulève la tunique qu’il portait. Fort heureusement, il avait mis un short. Comprenant soudainement ce qui se passait, il réagit brusquement, écrasant le pied de celui qui le maintenait, bousculant l’autre, avant de s’enfuir à toutes jambes en pleurant. Il retrouva sa mère qui sortait de chez sa patiente et qui l’accueillit dans ses bras, inquiète.
-Maman…est-ce que je suis normal ?
-Bien sûr…tu es différent, c’est tout. Tu ne dois jamais avoir honte de ce que tu es, tu m’entends ? Allez viens, rentrons à la maison.
Quelques jours plus tard, le même groupe d’enfants le prit en chasse et il se mit à courir comme un dératé vers la forêt. Mais, alors qu’il traversait la pleine, une forte bourrasque de vent l’obligea à se protéger le visage. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se retrouva face à une énorme créature. Un dragon !
Son père en avait un aussi, un dragon de foudre aussi sombre qu’un ciel d’orage. Mais ce dragon-là était blanc, tellement blanc que le soleil qui se reflétait sur ses écailles lui firent mal aux yeux. Il était tellement absorbé dans sa contemplation qu’il en avait totalement oublié ses poursuivants, qui, de toute façon, avaient fait demi-tour depuis un moment déjà. L’immense dragon blanc se pencha vers lui et le regarda intensément, de ses petits yeux noirs dans lesquels on pouvait lire une grande curiosité teintée d’amusement.
Raphaël ne savait pas trop quoi dire, le regardant avec ses grands yeux d’un bleu limpide, sa bouche formant un O muet, comme un poisson cherchant de l’air en vain. Autant dire qu’il n’oublierait jamais cette journée. Angelus, c’était son nom, lui appris qu’il l’observait depuis un moment et qu’il avait décidé de se montrer à lui pour lui proposer une alliance. D’abord incrédule, Raphaël lui en demanda les raisons, que le grand dragon refusa de lui donner pour l’instant, mais l’enfant accepta avec joie.
C’est ainsi qu’ils vécurent durant 8 ans. Angelus et Raphaël se rencontraient régulièrement dans la grande plaine, parlant durant des heures, se disputant et jouant comme des gamins en se taquinant gentiment.
Puis un jour, le dragon d’air lui parla de l’épreuve d’alliance qui leur permettrait d’intégrer la prestigieuse académie Lindorm. Une sorte de test pour voir s’ils étaient capables de travailler ensemble et de renforcer le lien qui avait commencé à se créer entre eux. Raphaël accepta et l’annonça à ses parents. Alon soupira de soulagement et serra son « fils » dans ses bras en déclarant qu’il était fier de lui, quant à sa mère, bien qu’inquiète, elle l’encouragea et l’aida à préparer ses affaires.
L’épreuve aurait lieu sur le territoire de Waterfield. Les deux alliés s’y rendirent, persuadés que ce serait une partie de plaisir. Mais il n’en fut rien, même si au bout de la troisième journée, le lien de sang était créé. Heureux d’avoir réussi à survivre pendant une semaine, ensemble, malgré quelques prises de bec, les deux alliés sortirent victorieux de l’épreuve et entrèrent à Lindorm.
L’intégration de Raphaël ne fut pas simple à gérer et le tempérament indépendant d’Angelus lui valut quelques problèmes. Cependant, l’étudiant s’en sortait haut la main, il tirait sa classe vers le haut, malgré ses difficultés dans certaines matières, notamment celle du combat. Pour le reste, il se montrait assidu et persévérant, et c’est ainsi qu’il atteignit la deuxième année, malgré les difficultés qu’il rencontrait parfois. Angelus était là pour l’épauler.
Lors de la déclaration de guerre des wyrms contre le territoire un an plus tôt, Raphaël resta à l’académie, tremblant pour son père partit se battre pour défendre les siens. Sa mère lui envoyait régulièrement des missives pour le tenir au courant de la situation, même si celles-ci arrivaient souvent en retard. Et à chacune de ses lettres ses mains tremblaient mais un soupir de soulagement franchissait ses lèvres car son père était un dur à cuire, et hormis quelques blessures qui lui laisseraient de belles cicatrices, il était bel et bien vivant, tout comme son dragon.
La déclaration de paix fut pour lui un soulagement énorme car cela voulait dire que son père pourrait rentrer à la maison et prendre soin de sa mère.
De son côté, Raphaël avait validé sa deuxième année sans problème particulier. Même si la disparition de Luka l’avait profondément perturbé. Il se demandait toujours ce que le jeune homme devenait tout en se demandant pour quelle raison il n’était pas à l’académie. Il avait disparu du jour au lendemain, comme ça. Et Ren ensuite. Oh lui il ne lui manquerait pas mais…la guerre avait fait son lot de victimes et certains avaient visiblement décidé de déserter. Seulement, Raphaël était persuadé que ce n’était pas le cas de Luka, ce n’était pas son genre. Quant à Ren, il était parti le jour où ils avaient appris la disparition de l’étudiant aqua, drôle de coïncidence n’est-ce pas ? Il était certainement parti à sa recherche. C’était tout du moins ce que lui et d’autres étudiants pensaient tout bas.
Angelus, lui, ne comprenait pas vraiment son inquiétude pour son camarade, pour lui, seul Raphaël comptait, les autres humains, il les tolérait et se montrait aimable, jusqu’à un certain point, mais cela s’arrêtait là.
Une nouvelle année commençait pour les deux partenaires et Raphaël avait hâte de savoir ce qui les attendait tous les deux.