Le bureau de Gwen était particulier. Situé sur un coin, il y avait des fenêtres sur deux murs, découvrant le paysage de la cour. Au loin, on voyait les différents bâtiments qui servent de serres et pas tellement plus loin, la caverne des dragons de terre. Reskar n'était jamais bien loin...

Ces fenêtres permettaient un éclairage naturel bien plus que suffisant à la pièce qui était remplie de nombreuses plantes, alliant à la fois décoration et plantes médicinales rares. Un pan de mur servait également de bibliothèque privée où les livres personnels de Gwen, accumulés au travers des années d'études puis d'enseignement, portaient sur les sujets de la nature, de guide de survie, des plantes, des dragons et un peu d'histoire. Il s'agissait pour la plupart de livres pour son travail, ceux qui étaient plutôt des romans étaient dans sa chambre privée.

Un meuble de taille moyenne, en bois massif, lui servait de bureau. Trois fauteuils, un pour elle et deux pour les visiteurs terminaient le mobilier. Une lampe sur son bureau attestait des nombreuses heures tardives qu'elle y passait. Assisse justement à son bureau, Gwen triait le courrier de l'Académie. Cela faisait plusieurs mois qu'elle avait pris sur elle de diriger un peu l'école, le temps que le directeur reprenne ses esprits. La perte de Jan puis celle de Nicola avaient particulièrement ébranlé l'école, dans un sens où leur départ avait demandé de les remplacer, mais également leur mort brusque et terrifiante. La guerre était bien présente. Cependant, Liam ne semblait plus en état psychologique pour tout diriger et Gwen espérait lui permettre un peu de répit en prenant en charge la majorité des dossiers.

Une pile attendait d'être amenée à Liam pour qu'il puisse en signer les documents. Elle irait un peu plus tard. Pour le moment, elle attendait la venue d'un homme qui, elle l'espérait réellement, pourrait prendre la place du professeur des Fulgères et de combat. Elle avait parcouru deux fois le dossier que lui avaient envoyé les généraux de l'armée d'élite et les éloges qu'elle y trouvait la surprenaient un peu. Un si grand héros de guerre pouvait-il réellement accepter de quitter le front et venir enseigner? Elle se demandait un peu ce qui pouvait se tramer derrière tout cela.

La porte ouvrit finalement, découvrant un jeune homme début trentaine à la chevelure argentée. Gwen posa alors sa plume, lui souriant et se leva.

— Bonjour, Ivan Silitch je présume? Je suis Gwen Garon, ravie de faire votre connaissance. Assoyez-vous, je vous en prie!

La voix douce et polie de Gwen était légèrement ponctuée de gestes l'invitant à fermer la porte et prendre place dans l'un des fauteuils face à elle.

N'ayant connu le jeune homme avant la guerre, Gwen ne pouvait remarquer des changements au niveau de son corps, mais elle se doutait bien que les quelques marques visibles étaient dues à la guerre. Il lui parut tout à fait convenable et poli, déjà un bon point de départ. Elle attendit qu'il prenne place avant de commencer l'entretien. Occasionnellement, elle jetait un coup d'oeil au dossier du jeune homme qu'elle avait ouvert devant elle, ainsi qu'à une feuille de note écrite à la main, visiblement un aide-mémoire des trucs à demander.

— Vous demander comment vous avez aimé votre expérience dans l'armée est un peu ironique vu les circonstances. Je sais que vous avez traversé de dures épreuves dernièrement, mais j'aimerais tout de même vous demander ce que vous avez retenu du service militaire et ce en quoi cette expérience vous permettra d'aider la nouvelle génération.

C'était d'entrer dans le vif du sujet. Gwen n'y allait pas par quatre chemins et visiblement, elle savait que cette expérience était cruelle par les temps qui courent, mais cruciale pour les prochains étudiants à former. Ces derniers temps, on avait plutôt des professeurs qui allaient au combat, pas l'inverse et il fallait retirer le maximum de cette expérience.

— Vous a-t-on un peu expliqué en quoi consistaient les postes ouverts ou avez-vous une bonne idée de ce qu'ils impliquent?

Elle faisait référence à la fois au poste de professeur principal des fulgeres, un groupe un peu restreint, mais assez explosif comme classe. À la fois, la classe de combat allait être tout un défi, un élément essentiel dans l'apprentissage des étudiants qui se devraient de retenir tous les éléments essentiels pour non seulement se battre, mais également se défendre et d'avoir l'efficacité d'esprit clair malgré les situations dangereuses qu'ils allaient rencontrer. Restait à savoir si cet homme face à elle saurait les munir de tels atouts malgré ce qu'il avait affronté. Elle n'était pas dupe et se doutait bien qu'un trouble psychologique le retenait de retourner au front, et avec raison, mais il ne fallait surtout pas que ce problème vienne affecter les étudiants.

[hrp : pardon, c'est un peu court, mais je voulais lui permettre de répondre ^^"]

Le jeune homme lui parlait sans cacher réellement ses émotions. La guerre l'avait marqué à de nombreux moments et c'était plus que normal. Elle se doutait fortement de ce qui se produisait à l'extérieur. Combien parmi ses collègues étaient marqués par des retours de la guerre, après quelques jours pour aider, et qui en revenait transformer, car oui, on n'était plus le même après cette expérience. Il lui expliqua comment il pensait démontrer ses capacités aux étudiants. Doucement, Gwen hocha la tête.

— Oui, il faut les préparer à cette folie et le cours de combat est l'un des plus appropriés.

Avec celui de survie bien entendu. Le cours de pistage ne servait pas uniquement à suivre une trace laissée, mais également à ne pas en laisser et à trouver moyen de se cacher ou camoufler pour ne pas se faire repérer, le temps de se soigner ou avant de réattaquer.

Il avait eu rapidement une indication de ce qu'il devrait faire, mais c'est plutôt Gwen qui lui expliquerait dans les grandes lignes ce en quoi consistaient ces emplois.

— Oui, en fait, chaque professeur de l'académie s'occupe d'un groupe étudiant correspondant à la nature de leur dragon. D'un côté, le dragon de l'enseignant permet de faire un relais d'information auprès des dragons des étudiants, d'une façon moins interprétée que si c’était les étudiants eux-mêmes qui les contactaient. D'un autre côté, le professeur permet de répondre aux questions de ce groupe d'étudiants sur tous les points de vue possibles. Le fait d'avoir un professeur qui partage le même élément dragonnier aide aussi sur le tempérament.

Gwen parlait par expérience. Traité avec les Fulgère et les Glacies dans les derniers mois n'avait vraiment pas été de tout repos pour elle!

— Concernant le poste des cours de combat, cela concerne beaucoup la stratégie, les techniques de combat au sol ou monté et le maniement des armes. Plus les années avancent, plus ils ont des cours, allant jusqu'en cinquième où ils ont des cours tous les jours, parfois deux par jour. Lors de la première année, bien sûr, c'est plus un début de rudiment d'armes, le temps qu'ils découvrent avec quelle arme ils se sentent le plus à l'aise. Beaucoup de théorie aussi. Ils seront impatients de commencer, certains n'ont aucune notion de combat et c'est là le plus dangereux, calmer leur ardeur pour ne pas qu'ils se blessent...

Elle prit un temps, voyant les réactions du futur professeur.

— Il faut aussi faire attention à ne pas les décourager non plus, pour ne pas se retrouver avec des étudiants qui désirent quitter l'académie... Certains vont vous prendre pour un héros, et ils peuvent avoir besoin de cette image aussi. Ils ont besoin d’un exemple à suivre, d’un modèle et c'est souvent par leur professeur qu'ils débutent cette idée. Ils ont besoin de croire qu'il est possible d'aller se battre et de ne pas en mourir et je pense que pour cela, vous pouvez être un bon exemple...

Gwen écouta les réponses du futur professeur. Elle souriait légèrement, hochant la tête à-propos. Effectivement, chaque être était une exception en soi, il n'y avait pas de réelle catégorie, mais cela semblait plus facile d'aller de cette façon. Il lui confirma se souvenir de ses propres années d'études. Il est vrai que les méthodes ne changeaient guerre dans cette école, que seulement les professeurs qui apportaient une vision personnelle de l'enseignement.

— L'ancien professeur de combat n'était pas très... structuré dans ses notes, mais je suis convaincue que vous vous y trouverez. Il y a également M. Mikelis, professeur de maîtrise du don qui a donné quelques cours en l'absence de professeur. Il pourra certainement vous être plus utile concernant l'endroit où en sont rendus les étudiants. Cela pourra être votre point de départ.

La partie sur la conviction du bon choix était la plus cruciale de cette rencontre. Parler avec cet homme, en plus de la situation du directeur, rendait de plus en plus l'idée qu'il fallait engager une psychologue pour l'école. Un peu pour les étudiants, mais beaucoup pour le personnel. Combien étaient affectés par le décès de leur collègue ou qui revenait du front avec des scènes terribles ancrées à tout jamais dans leur mémoire? Gwen se retint de pousser un long soupir qui la soulagerait que très brièvement du poids qu'elle avait constamment sur les épaules depuis les nombreux mois du début de la guerre. Un fardeau qui semblait n'aller qu’en croissant, mais elle espérait pouvoir s'en décharger peu à peu.

— Vous avez probablement raison pour la chance. Et peut-être est-ce là une façon de l'utiliser à votre avantage auprès des étudiants. À tenter de trouver leur chance d'avoir de si bons alliés et de vous avoir comme professeur.

Elle tenta de lui remonter le moral, comme elle le faisait un peu à tout le monde dans cette école. Une figure maternelle toujours souriante et prévenante. Il y avait une infime chance que cela fonctionne et jusqu'à présent, sa chance ne l'avait pas encore abandonné. Elle eut un léger sourire au compliment, penchant un peu la tête par pudeur pour cacher une légère rougeur. Elle releva la tête avec un visage serein cependant.

— Bien sûr, je vous présenterai aux étudiants de chacune des années au début des cours ainsi qu'aux étudiants Fulgères. Et puis, n'hésitez surtout pas à venir me poser des questions au besoin, je suis généralement à mon bureau ou à la serre.

Elle ne mentionna pas la bibliothèque où elle ne passait désormais presque jamais, le temps lui faisait défaut. Il lui semblait loin désormais le temps où elle pouvait tout simplement passer ses temps libres entre les corrections à lire un livre, semi-dissimulé dans la vaste bibliothèque.

— Avez-vous d'autres questions?

Gwen hocha la tête au nom de Nicola. Elle n'en rajouta pas et ne démontra pas non plus d'émotion à ce sujet. Elle n'était pas insensible, mais elle n'était pas en posture de s'apitoyer sur le sort des gens. Il y en avait assez d'un qui le faisaient.

— Je vous le présenterai sans problème, ainsi que les autres professeurs et employés de l'Académie. Pour les étudiants, vous pourrez les rencontrer durant les périodes destinées à vos cours, pendant qu'ils font des exercices, vous pouvez les interrogé individuellement.

Il semblait avoir beaucoup de bon sens qui sortait de cet homme et malgré le traumatisme évident aux yeux de Gwen, suite à l'expérience de l'armée, elle croyait qu'il pourrait faire un bon professeur. Il avait beaucoup à montrer aux étudiants et avait une certaine logique dans ce qu'il désirait entreprendre. C'était bon signe de l'avis de Gwen. Aussi, elle confirma mentalement son choix et ferait signer le dossier d'embauches à Liam un peu plus tard dans la journée. L'homme s'excusa de devoir venir la voir pour lui demander conseil. Elle lui sourit en répondant.

— Vous savez, c'est moins loin si je n'ai que vous à rencontrer que tous les étudiants à la fois. Cela me fera plaisir de vous aider, vraiment. Votre présence nous sera d'une grande aide, sincèrement.

La dernière question surprit Gwen. Elle resta un moment interloquer, se demandant d'abord quel était le lien entre la question et l'emploi et pris un bon moment avant de pouvoir répondre.

— Je... je ne vois pas en quoi cette information puis vous être utile pour l'emploi, M.Silitch, mais je ne le suis pas...

Reprendre ses esprits était plus difficiles qu'il lui semblait à cet instant. Elle avait l'habitude de se faire poser toutes sortes de questions, mais jamais d'ordre aussi personnel. Elle referma les documents devant elle.

— Si vous n’avez pas d'autres questions, je crois que je n'en ai pas non plus. Je dois faire approuver le dossier auprès du directeur, mais je suis convaincue que vous serez choisi.

Elle se leva de son siège et tendit naturellement sa main vers l'homme pour la lui serrer.

Gwen se demandait sincèrement où cet entretien irait. Les propos au sujet de Gwen l'étonnaient personnellement. Elle se serait attendue à des questions sur son travail ou d'ordre professionnel, mais du point de vue personnel, voilà qui la déstabilisait quelque peu, tentant toutefois de ne pas le démontrer. Elle ne releva pas l'information sur ses prétendants. Certes, elle en avait eu lorsqu'elle était étudiante et ils ont tous été gentiment retournés par son frère. Son frère si protecteur qui n'était plus présent maintenant. Pourtant, les demandes n'avaient pas repris. Elle se sentait beaucoup plus vieille que son âge, une maturité qui n'avait pas son pareil pour une gestion de crise comme celle que traversait l'Académie durant cette guerre.

Le baisemain fit sourire doucement Gwen. La galanterie n'était donc pas perdue dans cet univers de guerre. Elle croit bien que ce fut aux noces de Jan la dernière fois qu'elle reçut un baise-main. Comme cela semblait faire si longtemps et pourtant, c'était si proche. Le temps est d'une relativité effrayante.

— Il n'y a aucun mal, je ne crois pas que les étudiants vous en tiendront rigueur. Cela va peut-être même leur inclure un peu de discipline à l'occasion. Vous verrez, vous vous adapterez facilement. Bonne journée à vous également.

Lorsque l'homme quitta son bureau, elle tomba lourdement dans sa chaise. Ce n'était pas le premier entretien qu'elle faisait, mais celui-ci semblait le bon. Elle était brûlée, épuisée, mais elle n'en montrerait rien. Ouvrant un tiroir de son bureau, elle en sortit un onguent dans un petit pot. Délicatement, de son index, elle déposa l'onguent sous ses yeux, apaisant la douleur et la teinte des cernes. Cela n'enlevait pas la fatigue, mais lui donnait une fausse force pour continuer.

Se levant, la jeune femme déposa le pot dans le tiroir qu'elle referma. Elle fit le tri de quelques factures et lettres, empilant celles qui nécessitaient l'attention du directeur. Elle aurait également un dossier bien épais à lui faire signer pour embaucher cet homme qui lui sauverait tout de même bien de l'ouvrage par la suite. Bien sûr qu'il y aurait une période d'adaptation qui ne serait pas facile, mais à moyen terme, cela devenait déjà profitable.