«Toute histoire a sa part d'ombre. Toute famille cache ses squelettes dans le placard. Chaque pays a ses mystères, ses lames qui percent et déchirent la trame du préétabli. L'Histoire s'écrit plus sûrement dans le sang que dans la paix et trace les arabesques d'une trame que peu acceptent de voir. Car ce qui est souterrain, ce qui est caché, ce qui rampe le soir est ce qui effraye et seuls les plus braves sont capables d'éclairer les Ténèbres en s'y enfonçant avec leur seule lumière.
Mais il arrive qu'il émerge des Ténèbres les plus obscures une créature plus noire encore qui portera sur ses ailes souillées le poids des pêchés des hommes.
La Main du Jugement avait, d'après ses membres, existé depuis les premiers âges des hommes, lorsque les empires étaient jeunes et les nations encore fragiles sous le joug des dragons. Puis les hommes avaient versé le sang des créatures sacrées, des enfants de Limlug au nom de vanités nommées conquêtes, ambitions et désirs de pouvoir. Dans ces empires en guerre émergea des ombres cette société secrète que l'on raconte formée par un dragon, le Divin Arkhail, l'un des premiers fils de Limlug, qui commandait au tonnerre. Le Divin élu un homme, un être d'obscurité qui portait sur ses mains le sang de sa famille massacrée dans les jeux de pouvoir. Et le Divin donna à l'obscurité le pouvoir de venger le sang. Mais le sang ne saurait être lavé que par plus de sang encore.
Des hommes rejoignirent l'élu des ombres, lui jurant aide, protection et assistance. L'enfant solitaire vit finalement fleurir une véritable famille, des êtres capables de s'enfoncer pour lui dans les Ténèbres et de porter avec lui le poids du sang.
Au cours de l'histoire, certains l'enseignent à présent, la Main du Jugement perdura. Cette société secrète, ces lames de l'ombre influèrent sur les lignes du destin et modifièrent bien des destinées. On leur imputa bien des crimes qu'ils ne commirent pas tous. Et l'on murmura leurs noms maudits comme autant de psalmodies pour chasser leur ombre effrayante, la menace secrète pesant sur les puissants.
La famille Harfang ne prétendit jamais être aussi vieille dans la Main du Jugement que la famille Haalu, elle ne prétendit pas non plus être meilleure que la famille Tuang, ni même être plus douée que la famille Askarh. Asia Harfang et Damon Harfang avaient seulement deux enfants et peu d'influence. Mais dans la Main du Jugement, nulle rivalité. Car il ne saurait être possible de tisser l'histoire secrète du monde sans une unité parfaite. Car une confrérie d'assassins divisée n'est jamais qu'un groupe de bouchers. L'entente entre les quatre familles était cordiale. Les Harfang n'avaient rejoint la Main du Jugement que depuis une cinquantaine d'années, faisant office de petits derniers. Mais Asia et Damon étaient ambitieux et dévoués. Ils s'illustrèrent tout particulièrement en fomentant l'assassinat de l'entière famille des gouverneurs de Lostrego qui prouvait régulièrement son incompétence pour empêcher les raids de pirates et passait à présent plus de temps à organiser de fastes soirées mondaines que de défendre leur territoire. Les malheureux furent décimés, le palais brûlant dans une nuit claire alors que les Harfang savouraient une victoire écrasante. L'histoire ne mentionna pas cet héritier qui survécu. Un unique enfant qui échappa pour la première fois au sang versé par la Main du Jugement. Etait-ce le destin ? Nul n'en su jamais rien.
Asia et Damon s'illustrèrent en une prise de pouvoir rapide, soutenus par les très influents Haalu, dont la main-mise sur les affaires de Lostrego n'était plus à prouver. Le couple d'assassins prouva son aptitude en rétablissant la situation face aux pirates qui assaillaient l'ile. Et c'est au milieu des gibets dressés sur la grande place, sous ces innombrables pendus, hommes, femmes, enfants, que leur autorité fut reconnue, entre respect et crainte.
Sous les pendus, se tenait un tout jeune enfant, la main dans celle de son grand frère de douze ans. Le bambin de six ans regardait les cadavres se balancer dans la brise marine. Et ses yeux noirs n'exprimaient qu'un calme glaçant. Sous son manteau luxueux, tout contre sa poitrine, la forme arrondie d'une sorte de grande pierre bombée, noire parcourue de veines prunes, lisse et tiède, lui faisait un gros ventre un peu grotesque. Mais l'enfant refusait de se séparer de cette drôle de pierre qu'il avait reçu la veille de l'oncle Grindal Haalu, dans l'endroit-secret-dont-il-ne-fallait-pas-parler.
Cette pierre merveilleuse qui l'avait attiré si fort sur son piédestal était à présent à lui. Cette pierre sont les veines pourpres avaient semblé luire plus fort au contact de sa petite main, il ignorait encore combien ce qu'il pensait être un très joli caillou - un trésor de marin - allait bouleverser sa destinée.
»«Candel avait toujours été un enfant différent. Ses parents avaient vu avec un certain soucis l'enfant se développer en un être aux émotions avortées, comme incomplètes. Les troubles psychologiques se manifestèrent très jeunes et un médecin grassement payé pour rester silencieux - et exécuté peu après - diagnostiqua une profonde sociopathie, une forte incapacité émotionnelle, traduite par une absence totale d'empathie.
Ce n'était pas tant qu'il se montrait désagréable, en vérité. Candel semblait attaché à son aîné, Kaafka et ce dernier le lui rendait bien. Les deux garçons étaient une fratrie sans histoires, dotés de parents aimants - êtres des assassins ne faisaient pas d'eux des monstres sans âme incapables d'amour. Leur vie était on ne peut plus ordinaire à l'échelle de fils des gouverneurs usurpateurs de Lostrego. Si Kaafka fut orienté vers la succession de son père, le cadet restait l'élément troublant, dont on ne pouvait faire un personnage public, son incapacité émotionnelle le rendant instable. La solution vint à eux sous la forme d'un œuf de dragon traditionnellement gardé par la famille Haalu dans le repaire de la Main du Jugement. Et de cet œuf devait naître, deux ans plus tard, un petit dragon de foudre noir comme la nuit et un petit dragon d'air que l'on confia à la famille Haalu. Traditionnellement seul le dragon de foudre était la réincarnation de leur Divin. Le jumeau fut donc rendu à la nature une fois plus grand mais resta lié aux Haalu par une amitié solide. Le doute n'était plus permis pour la confrérie : Candel était un élu du Divin Arkhail. Et en cela le légitime Maître de la Main du Jugement. Car, depuis toujours, les Maîtres avaient été des dragonniers de foudre dont l’œuf de dragon laissé à la mort du maître et de son dragon, était conservé en attente du prochain Maître. Près de cinquante années s'étaient écoulées depuis la mort du précédent Maître. Et à présent un nouveau descendant d'Arkhail voyait le jour.
Âgé de huit ans, le petit garçon regardait sans ciller la petite créature de poils, de plumes et d'écailles toute ébouriffée qui venait de se lover sur son lit. Pas plus grand qu'un chat, le bébé dragon le fixait de ses yeux turquoise, aussi curieux que l'humain. Lorsque Candel avança la main pour toucher la petite bête, ce dernier piailla légèrement puis se laissa caresser. Ce fut la première fois que Kaafka vit son petit frère sourire depuis l'encadrement de la porte.
Rapidement, l'enfant et son dragon devinrent inséparables, grandissant ensemble dans le palais des Harfang. Très vite, Asia apprit à son fils à manier les poisons, l'intéressant naturellement à l'herboristerie. Habitué depuis son plus jeune âge à absorber quelques infimes touches de poison mortel, Candel ne risquait pas grand chose à manipuler les dangereuses plantes. Le poisons, à l'instar de tous les membres de la Main du Jugement, était trop familiers pour qu'ils n'y soient pas immunisés par ingestion.
Au sein de la Confrérie, l'on se réjouit finalement du retour d'un Maître et l'on prépara dans l'ombre l'avènement de l'enfant auquel sa mère, patiemment, commençait à expliquer l'histoire de leur famille et de leur ordre.
Candel et Arkhail grandirent ensemble, attendant patiemment les seize ans de l'humain, le dragon atteignant rapidement sa taille adulte, rehaussant le prestige officiel de la famille de gouverneurs : ils comptaient à présent pour le peuple un futur dragonnier dans leurs rangs.
Les manques émotionnels de Candel ne se comblèrent cependant pas au contact d'Arkhail, mais s'atténuèrent légèrement, le rendant à peine plus humain. Plus qu'humain, il pensait comme un jeune dragon, partageant avec son ami un lien mental particulier et une vision du monde similaire.
Le jour de ses seize ans, finalement, ils furent envoyés à Keven pour passer leur alliance. Le moment tant attendu des deux complices arrivait. Leur lien très prononcé fut mis à rude épreuve lors de cette longue semaine de survie dans les opaques forêts du pays, Arkhail et Candel manquant plus d'une fois de mourir. Mais ils avaient été entraînés, conseillés, conditionnés à devenir les leaders que l'on attendait d'eux. Ils réussirent finalement dès le premier essai, sortant de l'épreuve plus complices qu'auparavant, sachant à présent qu'ils pourraient compter l'un sur l'autre en un indéfectible lien.
L'académie Lindorm leur ouvrait à présent les portes.
»«Lindorm... Les premiers jours à l'académie signifiait être séparé de son dragon, de sa famille, des membres de la confrérie qui formaient une sorte de famille étendue. Mais Candel et Arkhail s'étaient jurés d'exceller, afin de faire honneur à leur rang futur, afin de briller au panthéon des autres Maîtres.
Les premiers mois furent cependant compliqués pour le jeune homme, ses lacunes sociales devenant très vite un gros handicap. Habitué à un mode de vie particulier, quelque part toujours un peu dérobé aux situations sociales malgré son statut d'enfant de gouverneur, Candel fut rapidement ostracisé. Ce drôle de garçon effrayait, ne semblant pas vivre dans le même monde que les autres. Personne ne pouvait se doute à quel point cela était le cas. D'un naturel sérieux, travailleur acharné, Candel devint rapidement l'un des meilleurs de sa promotion... L'un des meilleurs ? Ce fut à ce moment là que l'élu de la Main du Jugement pris soudainement conscience d'une chose primordiale : il ne pouvait pas se contenter d'une seconde place. Et ce gêneur de Ventus, cet Aldo Ortega ne pouvait lui rafler la mise.
Une rivalité implacable naquit donc de manière très simple, avec l'absence de passion de Candel. Il commença à se renseigner sur le Ventus, à travailler de plus en plus pour le dépasser en cours, savourant les petites victoires où il prenait la première place dans une matière. Mais Aldo était brillant, séduisant, populaire. Une parfaite Némésis de ce garçon inquiétant, asocial, profondément enfoncé dans les Ténèbres d'un destin loin de ceux des héros marchant en pleine lumière.
A force de se renseigner, Candel apprit finalement une chose utile : Aldo était amoureux, d'une jolie fille de leur classe. Hattusha était une fille surprenante, plus âgée qu'eux, mais dans la même année. Elle était extraordinairement douée en combat et dans les cours de survie. Et Aldo aimait donc cette personne ? Une idée tordue germa dans l'esprit retord du Fulgere : il volerait le cœur d'Hattusha et affaiblirait ainsi considérablement son rival.
L'idée était simpliste. Mais elle s'avéra dans les faits extraordinairement compliquée pour Candel : tout simplement parce qu'il n'était pas capable de sentiments ou d'empathie et avait le plus grand mal à ainsi prévoir les réactions logiques des autres. Il ne s'agissait pas juste d'approcher Hattusha en lui disant de but en blanc de sortir avec lui sous le nez d'Aldo : ce fut pourtant ce qu'il fit, très simplement. Bien évidemment, la jeune fille en rit, repoussant sa déclaration. Très surpris plutôt que contrit, Candel prit conseil auprès d'Arkhail. Mais ce dernier était un dragon et il n'y entendait au moins aussi peu de choses que son allié.
Candel se mit donc à rôder également auprès d'Hattusha, pour tenter de cerner ses goûts, lui apportant ses plats préférés au réfectoire, lui laissant regarder sur sa copie pendant les contrôles d'histoire-géographie. Mais la belle restait indifférente, se manquant gentiment de lui, l'agaçant lentement.
Et Aldo ne descendait pas de son piédestal et redoublait d'efforts comme pour le narguer alors que lui-même étudiait des nuits entières. La rivalité entre les deux adolescents prenait corps et Aldo, sans doute piqué par le fait qu'il ai demandé à la femme qu'il aimait de sortir avec lui juste sous son nez, mis au moins autant d'acharnement que lui à lui pourrir la vie.
Mais Hattusha, très vite, trouvant amusant ces deux garçons qui se battaient sur tout et pour elle et elle les réunit en les invitant à manger avec elle, à sortir, à combattre, les deux Némésis en profitant pour passer leur temps à se disputer tant ses faveurs que la première place en tout et n'importe quoi.
L'ironie voulait cependant qu'Hattusha, Aldo et Candel finissent par former un étrange trio rendu indissociable par la Roroa. Presque malgré eux, les mois se transformèrent en années dans un statut quo de cette relation étrange.
Ce fut en seconde année qu'eut lieu le drame. Wennerström abordait le chapitre consacré à Lostrego. Et Candel découvrit pour la première fois de sa vie un autre son de cloche : celui de ceux de l'autre côté de l'ombre de la Main du Jugement. La confrérie d'assassins fut évoquée en cours, plongeant le Fulgere dans une perplexité pensive qui se transforma lentement en une colère froide en entendant son professeur colporter de pures calomnies. Certains actes n'était pas de leur fait et étaient à présent retenus comme tels, souillant aux yeux de Candel le véritable but de leur faction clandestine. La colère enfla de plus en plus alors qu'un jeune Ignis de leur classe insultait la Main du Jugement après le cours, traitant ses membres de consanguins arriérés, de monstres répugnants et autres adjectifs peu flatteurs. Cette colère peu coutumière chez Candel - si peu habitué à ressentir quoi que ce soit - explosa dans le cours suivant. Le cours de combat. Ivre de rage pour la première fois de sa vie, aveuglé par la souillure de son monde porté par des ignorants, il commença l'entraînement, se rapprochant inexorablement de sa proie. Des groupes de deux furent formés et il s'arrangea pour se retrouver contre le malheureux élève.
Candel était une machine à tuer, né pour être un assassin, d'une lignée d'assassin. Il avait toujours bridé ses réelles capacités pour se donner l'air anodin, pour ne pas être soupçonné - un conseil de sa mère et du doyen Haalu - pourtant, ce jour-là, le Fulgere se transforma en monstre, combattant l'autre élève à son plein potentiel, dévoilant à tous sa souplesse, sa vivacité, sa capacité au lancer de couteaux, utilisant ses poisons paralysants sur l'autre élève, le blessant grièvement avant que quiconque puisse intervenir en une rage meurtrière qui ne lui laissait aucune chance, esquivant les coups que l'autre tentait de lui porter, dévoilant que derrière l'apparence moyenne qu'il s'était toujours donné, il y avait une chose bien pire.
Il aurait tué sa victime, il voulait le tuer... Si on ne s'était pas interposé. Une tornade blonde à la peau noire. Et une autre silhouette vêtue de blanc. Arkhail lui-même avait rugit d'indignation au travers du terrain où il venait de se poser, en toute hâte, ayant sentit le flot d'émotions furieuses si inhabituelles de son dragonnier.
Incapable de se contrôler, Candel lutta un long moment contre Aldo et Hattusha réunis mais ce fut cette dernière qui, avec l'aide du Ventus parvint tout simplement à l’assommer d'un coup stratégiquement placé grâce à son art martial redoutable.
Le garçon fut transporté à l'infirmerie et lui, une fois réveillé, fut envoyé chez le directeur. Ce jour là, le Fulgere risqua le renvoi. Il fallu toute l'influence de ses parents pour éviter ce drame qui l'aurait à jamais éloigné de son destin de Maître.
Évidemment, cet évènement fut raconté, amplifié, surenchérit et colporté dans toute l'académie. Si l'on se méfiait de lui, à présent on le craignait profondément.
Il eut le droit à de sévères remontrances de la part de sa famille, du directeur, de ses professeurs, et du doyen Haalu, d'Arkhail et même d'Hattusha qui l'attendait au pied de son dortoir pour lui passer un savon.
Candel avait bien évidemment conscience d'avoir agit de manière stupide - mais il ne parvenait pas à regretter son geste : si le jeune homme aurait succombé, c'était qu'il n'était pas digne de devenir un soldat, un dragonnier. Il ne regrettait pas, non, mais il fit amende honorable et profil bas, masquant de nouveau ses capacités pour rester dans la moyenne basse du cours de combat : tout simplement parce que c'était la seule chose à faire. Mais il ne savait pas que peu étaient à présent dupes de ses piètres performances alors qu'il avait fait montre d'un réel talent et qu'Aldo et Hattusha le surveillaient de loin. Peut-être avaient-ils vu l'expression de son visage ce jour-là... Cette expression de joie malsaine, féroce. Celle du tueur qui fait couler le sang, le prédateur heureux de planter enfin ses crocs dans la gorge de sa première proie. Il reprit son quotidien, l'air de rien, parfaitement indifférent au fait d'avoir manqué de tuer un adolescent innocent de sang-froid. Arkhail lui fit la tête durant un mois avant de finalement succomber au lien profond qui les unissait et de pardonner à son dragonnier la bourde qui avait failli les séparer et les priver de leur destinée.
Les mois reprirent leur lent cours, le jeune dragonnier retrouvant sa place de Némésis d'Aldo et de prétendant d'Hattusha, le trio se reforma, avec une petite différence...
Autrefois attiré par Haatusha en temps que simple moyen de victoire sur Aldo, il avait fini par développer pour cette dernière une sincère curiosité, admirant sa maîtrise du combat. Et puis, en troisième année, l'impensable eu lieu : Candel éclata un jour de rire aux cabrioles comiques de la jeune femme lors d'une sortie à Laragon avec elle et Aldo. Un rire éraillé, bas, né de cette gorge abimée par d'années de tests de poisons et de substances diverses. Mais un rire tout de même. Surpris lui-même de ce léger signe de changement dans son comportement, il prit conscience de sa réelle attirance pour l'Ignis. L'envie de lui plaire passait à présent au-delà de sa rivalité perpétuelle avec Aldo. Ce n'était plus tant par envie de dépasser ce dernier mais il considérait à présent Hattusha comme une femme. Et non plus comme une simple pièce d'échec dans la partie qui l'opposait à son éternel rival.
Pourtant, la triste évidence était là : il était le Maître en devenir de la Main du Jugement. Hattusha lui semblait si lumineuse : bien plus faite pour Aldo que pour lui. Il était bien trop enfoncé dans les ténèbres pour l'y entraîner.
Et puis vint le temps des questionnements sur Aldo et lui-même, et ses sentiments pour le Ventus. Les vacances d'été entre sa quatrième et cinquième année furent longues. Éprouvantes, même. Parce qu'il manquait à ses journées le sel de celles à l'académie : son rival. Cet imbécile d'Aldo lui manquait, malgré la présence de sa famille et de son grand frère. Et ses sentiments l'embrouillèrent sur leur nature ambiguë.
Troublé par cette constatation simple, Candel entra à présent pour une nouvelle année en proie au doute et à l'amertume de la dernière avant le front. Car la guerre les séparera. La vie les écartera les uns des autres. Il ne pourra plus se disputer et rivaliser avec le Ventus. Il ne pourra plus tenter de séduire vainement Hattusha comme depuis ses seize ans. Lentement, le futur Maître comprit une évidence à laquelle l'insouciance de ses jeunes années ne l'a pas préparé : son chemin sera solitaire car un seul être vous manque et tout est dépeuplé.
»«La guerre... Et le chaos... Voilà ce qu'apporta son départ de Lindorm. Après une courte présence au sein de l'escadron d'Elite des lances de foudre, Candel Harfang fut ajouté à la longue liste des morts. On retrouva un matin son corps déjà froid dans sa tente de jeune officier après sept mois de loyaux services, son dragon disparaissant la même nuit. L'on achemina le corps à la demande de la famille Harfang, jusqu'à Prima.
Ce qui se passa ensuite n'est qu'une rumeur, un racontar que l'on se chuchote tout bas. L'on raconte que, suite à la mort de Kaafka Harfang, tué par les Wyrms, leur aîné et futur gouverneur, le couple perdit la tête et se jeta du haut de la tour du palais. L'on retrouva au matin leurs corps brisés. On les enterra en grandes pompes dans le caveau familial. Aux côtés de leurs deux fils. Mais personne ne sut jamais que l'un des caveaux du mausolée était à présent vide. La famille Haalu quitta également le pays, sous quelque prétexte de deuil, emportant avec elle le corps étrangement parfaitement conservé de Candel Harfang.
Ce corps qui, un matin, suite à l'ingestion d'une décoction particulière dont le secret était détenu des Haalu, s'anima comme quelque mauvais conte.
Candel avait utilisé une technique ancestrale, un poison puissant et ancien qui lui permettait de feindre la mort, ralentissant à l'extrême ses fonctions vitales. Ainsi, avec l'antidote, il sortit de ce mois de coma avec une légère migraine et un sourire mauvais.
Les Wyrms avaient précipité les plans des Harfang. Le temps avait joué contre eux en causant la mort de Kaafka dans une embuscade.
Le couple s'était alors suicidé afin d'offrir aux Haalu une sortie peu remarquée et une discrétion absolue, afin que le Grand Maître puisse être réveillé de sa mort factice et que la Main du Jugement puisse disparaître de Lostrego pour mieux renaître dans une autre nation.
Narthan était la patrie choisie par Candel. Pour une raison fort simple. Hattusha. Sa belle Reine Roroa avec laquelle il avait longtemps correspondu, le plus régulièrement possible. Jusqu'à aller la retrouver dans ce désert infini. Jusqu'à lui avouer en face ce qu'il était. La main qui tient le couteau. Le terrible messager de la mort à venir. Un maître assassin qui n'aimait pourtant qu'elle, cette beauté du désert au tempérament de feu.
Et, finalement, Hattusha accepta : elle devint son amante. Sa Reine tant chérie se cabra dans ses bras. Elle tint la chaîne de son cœur d'une main implacable. Douce et cruelle, froide et brûlante à la fois. D'amoureux, la passion s'attisa en lui jusqu'à brûler dans cette âme glacée avec une dévotion silencieuse.
Pourtant... Il y avait encore ces rêves... Ces rêves où Aldo s'offrait à ses baisers, à ses morsures, à ses caresses, à ses griffures. Aldo... Qui sans doute le croyait mort. Aldo qui l'avait sûrement oublié pour rejoindre les bras de quelque fade jeune fille. Aldo qui l'obsédait encore tant et tant... Mais de ses sentiments brûlants pour son ancien rival, il n'en dit rien, sans savoir qu'Hattusha avait parfois surpris ses marmonnements dans son court sommeil, ses appels un peu trop enflammés.
Il garda en lui le secret de ses sentiments non assumés. Il vit finalement peu Hattusha, l'un et l'autre ayant des vies trop différentes, leurs propres guerres à mener. Même s'il lui offrit ses services pour le jour où elle en aurait l'usage afin de reconquérir son pays. Chaque retrouvailles le laissaient plus amoureux d'elle... Et puis l'idée germa, incongrue, qu'il n'osa encore lui soumettre : il voulait l'épouser.
Deux ans durant, Candel travailla à recruter les meilleurs assassins dans différents pays afin de s'entourer d'une élite apte à défaire n'importe qui. Ils n'étaient qu'une quinzaine mais chacun valait un escadron. Et avaient la ruse, la discrétion et l'intelligence apte à renverser des empires.
Un jour, il entendit parler d'une jeune femme, mercenaire. Une femme qui avait défait avec une autre un tyran. Une femme qui se faisait payer pour ses assassinats. Mais une femme en danger de mort : le dernier client projetait sa mort si elle échouait.
Mais il ignorait que le Maître de la Main du Jugement avait décidé que cette Alecto Cimorelli devait survivre car son destin n'était pas de mourir d'une main inapte mais de devenir un membre de sa dangereuse famille.
»