Le repas n'était pas mauvais, il était chaud, complet et plutôt nutritif. Il y avait tout de même des avantages dans ce lieu. Autant en profiter, mais au cas où, Svenja se gardait toujours un truc ou deux de côté qu'elle glissait dans son sac en bandoulière qu'elle ne quittait pas, même à table. Elle regardait souvent à la ronde les autres étudiants dans la salle, peu habituée d'être aussi entourée de gens. Cela l'a mettait légèrement mal à l'aise surtout que l'un d'entre eux, un jeune garçon, la fixait également. À quelques moments, ils s'étaient fixé sans rien dire, sans faire de geste, s'observant non pas comme des ennemis ou comme des gens intéressés, mais plutôt juste par le fait que l'un et l'autre était là et regardait dans leur direction. C'est d'ailleurs une des fois en fixant le garçon que Svenja glissa un petit pain dans sa bourse. On regardait les yeux, pas les mains.

Retournant tout de même occasionnellement à sa soupe, son assiettes de poulet à la sauce bbq et ses frites, la jeune femme restait songeuse. Certains étudiants, en dehors des professeurs et directions qui étaient déjà tous au courant, savaient qu'elle n'était pas ici pour les mêmes raisons qu'eux. Engagée à vie dans l'armée après ses études, elle était aussi prisonnière dans ces lieux que dans une sombre cage de sa région natale. Elle n'était pas toujours convaincue qu'elle avait vraiment une meilleure vie ici, malgré ce que lui racontait Silvare. Lorsque la salle serait vide, ce serait une bonne occasion pour trouver quelques aliments laissés derrière les étudiants et qui pourrait se conserver quelque temps dans sa cachette...

Il semblait que le jeune étudiant soit aussi peu à l'aise avec la compagnie bruyante que l'était Svenja. Lorsque des étudiants vinrent se placer auprès de lui, il se leva pour s'installer avec son repas à côté même de Svenja. La surprise de la jeune femme était grande, mais peu visible. Elle se demandait pourquoi venir s'asseoir à côté d'elle. Parce qu'elle l'avait fixé et qu'il se faisait peut-être des idées? Ils ne se dirent rien, continuant de manger sans un mot et sans vraiment un regard, étant maintenant côte à côte. Cependant, maintenant Svenja ne pouvait plus chiper des aliments tant qu'il resterait aussi près d'elle et qui sait s'il partirait avant qu'elle termine son repas? Tant pis, aussi bien en profiter pour bien manger alors.

Sa fourchette en main, Svenja dégustait un morceau de poulet lorsqu'elle vit une légère boule de flamme entre elles et son compagnon de silence. Son premier réflexe fut de planter sa fourchette dans la boule enflammée et sans s'en rendre compte, la fourchette avait revêtu une couche de glace qui vint faire grésiller le feu. Si la glace fond rapidement en arrosant un peu le feu, la fourchette de métal se chauffa et la jeune femme lâcha son ustensile avant d'être brûlée. La fourchette tomba au sol alors qu'elle se tenait la main engourdie. Elle n'avait pas remarqué la forme de coeur de la boule de feu invoqué par une autre étudiante qui vint s'installer à leur table.

La jeune étudiante ne savait pas trop si elle devait remercier la nouvelle arrivante, qui était visiblement plus jeune qu'elle, de son compliment ou juste partir.

— Vous avez une drôle de façon d'attirer l'attention pour votre part... Je croyais que l'utilisation de son don en dehors des cours et d'une mesure d'urgence était proscrit?

Svenja n'avait aucune idée si c'était vrai ou pas, n'écoutant pas en classe et ne réfléchissant qu'à une possible sortie de l’enfer où elle se trouvait, c'était du moins son impression.

Svenja décidément n'avait rien à faire ici et si la présence du garçon avait au moins le mérite d'être silencieuse et tranquille, ce n'était pas le cas de la nouvelle venue qui était beaucoup plus tumultueuse. Cependant, elle s’enquiert de l'état de douleur qu'avait eue Svenja.

— J'ai survécu à des brûlures de froid, le feu ne me fait pas plus mal...

Elle avait bien quelques marques d'engelure encore sur le corps à certains endroits, mais les cachait généralement bien. Dans sa vie, on prenait vite l'habitude à se faire une barrière physique contre les douleurs, elles sont si nombreuses lorsque l'on vit dans la rue.

La remarque de l'étudiante sur les dons eut l'effet cependant de sortir du mutisme pour l'instant de quelques mots le garçon. Si elle n'était pas tout à fait d'accord avec l'énoncer, cela lui expliquait les règles de l’établissement. Ainsi, elle devrait être prudente au cas où l'un d'entre eux voudrait se venger sur elle pour la raison qu'elle lui aurait prise quelque chose lui appartenant...

La jeune inconnue lui tendit un mouchoir imbibé d'eau fraiche. La regardant étrangement, Svenja le prit et enroula sa main. Le contraste froid/chaud lui tira une grimace, mais elle sentait un léger soulagement. Le mouchoir était joli aussi, peut-être le garderait-elle...

— C'était un coeur?

Haussant le sourcil, Svenja avouait ne pas avoir remarqué la forme, seulement l'élément de feu. Elle laissa simplement la jeune fille dévider tout ce qu'elle voulait, cela semblait lui faire du bien d'un certain sens. Ça lui rappelait certains hommes qui l'avaient payé uniquement pour pleurer sur son épaule. C’était étrange d'y repenser maintenant...

Forcée aux présentations, Svenja était néanmoins polie.

— Je me nomme Svenja... Fritz.

Elle venait d'hésiter sur son nom de famille... Normale, c'était celui que l'État lui avait donné, car elle n'avait aucun souvenir de son réel nom.

— Et je viens d'arriver dans cette pris... école.

Et personnellement, elle n'avait pas particulièrement envie d'élaborer plus. Surtout qu'elle était loin de se considérer comme membre de la classe de Glacies comme c'était inscrit sur son dossier étudiant.