Aloysius marchait dans les couloirs de pierre, son balai à la main et un calepin sous le bras. Comme souvent, il était vêtu d'un pantalon de tissu sombre, d'un gilet de la même couleur et d'une chemise blanche dont les manches étaient proprement repliées jusqu'au dessus des coudes. Après tout, l'été se terminait mais l'hiver n'était pas encore là. Il pouvait se permettre une tenue semi estivale. Il ralentit un instant lorsque onze coups retentirent dans tout le bâtiment. Dans une heure, ils passeraient à table, enfin, si tout était finalement prêt à temps. Il fut interrompu dans ses réflexions par un petit cri joyeux :

"Aloy ! J'en vois une, j'en vois une !"

Le concierge regarda vers le point d'émission du cri et vit son dragon qui pointait un coin sombre à l'abri de la lumière des fenêtres. Il s'approcha et vit effectivement une belle toile d'araignée. Il saisit son balai et la fit disparaître. Le personnel de ménage ne pouvait pas tout voir vu l'étendue des couloirs et des salles.

"Elle s'échappe, elle s'échappe !" fit le dragon rose en se mettant à courir avec une grosse araignée.

Cette dernière parvint à s'échapper dans une fente du mur mais elle dût cuire aussitôt car un jet de flamme sortit de la gueule de l'animal. Celui-ci revint en trottinant, tout content, vers Aloysius. Ce dernier hocha la tête en soupirant et continua son chemin.

"On va où, du coup ?
"Voir le directeur lui donner l'inventaire et les prévisions en nourriture pour l'année. Et puis j'aimerai bien le voir pour son jeu de piste à la noix...

Le dragon se figea un instant avant de reprendre sa marche mais le geste n'avait pas échappé à son maître.

"Briquet, qu'est ce que tu as encore fait ?"
"Moi ? Mais rien, voyons, qu'est-ce qui te fait penser que j'aurais pu avoir fait quelque chose."
"Briqueeeet...!" menaça Aloysius d'une voix grave en ayant mis sa jambe devant le chemin de son dragon pour le stopper.

Ce dernier releva la tête avant de se rapetisser un peu. il pouvait mentir au monde entier mais pas à Aloysius.

"Je suis allé dans les cuisines et... j'ai renversé un grand sac de cassonade, tu le lui dira pas, hein ?"
"De cassonade ?" répéta le concierge surprit. " Mais j'ai discuté avec le cuistot avant de venir, il ne m'a pas parlé de casso" Il s'arrêta net dans son mot. "BRIQUET ! C'était de la semoule ! Tu as pulvérisé le repas de ce midi, espèce de calamité ambulante !"

Aloysius avait quelque peu très légèrement haussé le ton devant son dragon qui avait maintenant la tête pendante et la queue ramenée contre son ventre. Nul doute, qu'au moins un murmure avait traversé la porte du bureau du directeur qui se trouvait à peine au bout du couloir.

Aloysius avait la main levé comme prêt à frapper à la porte. Assurément, même un romancier n'aurait pu créer un meilleur timing. Un peu surpris, se trouvant également trop proche, le sexagénaire recula d'un pas. Il y eut un instant de silence où il essaya de passer son saisissement puis il lança un courtois :

"Bonjour Liam."

Il n'avait jamais réussi à l'appeler par son nom de famille : Aloysius l'avait connu alors qu'il n'était qu'étudiant dans cette académie et il l'avait vu grandir jusqu'à obtenir son poste actuel. Sans compter qu'il était même plus jeune que son fils aîné. Difficile de l'appeler monsieur le directeur dans ces conditions.

"Salut vieille branche."

La voix venait du sol. Aloysius leva les yeux au ciel. Incorrigible, qu'il était le Briquet. Le concierge se souvenait encore de la première fois où ils avaient appris le prénom du jeune homme. Et de l'expression ahurie de son dragon.

~Liane ?~ avait-il dit à l'époque. ~Avec un prénom pareil, on pourrait croire qu'il sort d'une jungle !~

Alysius lui avait épelé le prénom mais c'était resté. Il n'avait cessé de faire des jeux de mots avec. Il fallait dire que cet étudiant sans problème correspondait tout à fait au genre de personne que le dragon détestait -et que le concierge n'appréciait pas trop non plus. Exemplaire sur tous les points, étudiant modèle, parfait au point -ça avait jasé à l'époque- qu'il avait jeté sa petite amie du moment pour se concentrer sur ses études. En un mot, le petit soldat idéal assorti à une Dragonne qui méritait le D majuscule quand on la désignait tant elle était aussi exemplaire et digne de son espèce. Le seul point qui faisait que Briquet et Aloysius ne les détestait pas chaudement était que ce type restait discret et modeste. Dès lors la cohabitation avait été tranquille et limité au strict minimum.

"Nous avions rendez-vous concernant l'inventaire et les prévisions de logistique, ce genre de chose habituel. Mais je tombe peut-être mal, vous n'avez pas l'air dans votre assiette."

En parlant, il avait posé son balai contre le mur pour s'emparer de ses feuilles de notes pendant que Briquet s'était assis, baillant aux mouches, désintéressé.

Le concierge le salua comme à l'époque où il était étudiant et Liam ne s'en formalisa pas. Au contraire, il aimait à savoir qu'on se souvenait qui il était, un homme comme tous les autres au-delà du fait d'être le directeur d'une école militaire, seul salut pour contrer une armée de rebelles et leurs dragons. Il sourit au salut de Briquet, qui ne s'était jamais résolu à l'appeler "Liam" mais Liane. Mais Fletcher se doutait que le mini dragon devait aussi le faire exprès de temps et que c'était devenu une habitude avec le temps. Bref, rien de bien méchant, alors, il le salua d'un signe de tête poli avant de se déplacer sur le côté avec une grimace pour laisser passer ses hôtes.

-Ah oui, c'est vrai. Entrez, je vous en prie. Ce n'est rien, juste une mauvaise chute. Nous devons d'ailleurs parler de ça. Vous tombez à pic.

Refermant la porte derrière le couple si atypique, Liam regretta de ne pouvoir aller demander un petit coup de main à Gwen. Les paroles de Liatris restaient d'ailleurs gravées dans sa mémoire quand elle lui avait conseiller un mélange d'herbes pour soulager la douleur. D'un pas un peu plus lent que d'habitude, la main droite entourant son abdomen pour aller soutenir ses côtes à gauche, il retourna derrière son bureau pour s'y asseoir. D'un geste de la main, il invita Aloysius à en faire de même sur le fauteuil présent.

-Avant d'aborder l'inventaire et les provisions, j'aimerais que nous parlions de quelque chose d'au moins aussi important. Deux élèves ont réussi à sortir des dortoirs hier soir et m'est avis que pour le cas de la jeune fille, ce n'était pas la première fois. Il s'agit de Vaast O'Shanahan et de Liatris Osgard. Il faudra renforcer la surveillance nocturne. Engager peut-être un surveillant de plus. Je ne sais pas. En tous les cas, je ne veux plus que ce genre de chose se reproduise. Le règlement est clair à ce niveau-là, ce n'est pas à vous que je vais apprendre cela.

Il fit une pause, le temps de se sortir un verre de son tiroir favori et de se servir de son rhum si apprécié. Au moins, ça endormirait un peu la douleur. Après un fond de verre cul-sec, il s'en resservi un deuxième, histoire d'en apprécier le goût cette fois. Avec un sourire, il jeta un coup d'oeil au concierge. Savait-il au moins qu'il buvait déjà au moins autant quand il était étudiant ? Bref. Il ne poussa pas plus loin ses réflexions, posa son verre devant lui en soupirant d'aise en sentant l'alcool lui réchauffer l'estomac, et continua.

-Liatris a utilisé son don contre moi. Ce n'était pas voulu, et elle s'en est excusée. Mais je veux une punition à hauteur de leur forfait, à tous les deux. Ces deux jeunes gens ont subi toute leur enfance, il ne s'agit pas de leur mettre une simple retenue et encore moins de leur rappeler combien les adultes peuvent être cons. Je veux qu'ils apprennent quelque chose dans tout cela. Une idée sur la question ?

Et bien, pour une mauvaise chute, elle avait dû être bien mauvaise, du style, escalier qui s'écroule sous vos pas. Il paraissait bien pâle le directeur. Mais bon, ce n'était pas trop son problème, il s'en fichait un peu. Il savait qu'en revanche, Briquet se délecterait d'aller raconter ça à tous ses potes dragons, tout en déformant un tant soit peu la réalité. Voire même totalement. Le concierge s'assit dans le fauteuil désigné en tirant un peu sur les jambes de son pantalon pour être confortable et le machin s'assit par terre non loin juste avant de se gratter le haut du cou avec sa patte arrière. Geste qui n'échappa à Aloysius, il trouvait qu'il se grattait beaucoup dernièrement. Son attention fut reportée sur le directeur lorsqu'il aborda le problème des deux fêtards.

Une pause se fit, le concierge attendit. Il vit la bouteille de rhum se sortir et un premier verre disparaitre. Aloysius s'occupait de l'approvisionnement en nourriture de l'ensemble du château y compris les petits vices de employés. Le troisième commis de cuisine était réputé pour craquer sur les sucres d'orge, l'un des surveillants avait un petit faible pour une bière après son service et le directeur pour les alcools forts. Enfin un alcool fort. Cela commençait à devenir inquiétant. La femme de ménage ramassait de plus en plus souvent la bouteille vide dans la corbeille, le lui signalait et il rajoutait de plus en plus souvent une bouteille de rhum à sa commande hebdomadaire. Il faudrait qu'il le surveille tout de même, il n'était pas certain qu'avoir un directeur alcoolique ne pâtirait pas sur son salaire futur. A moins qu'il n'augmente fortement son salaire futur. En le faisant chanter pour ne pas révéler la chose et ne pas qu'on l'éjecte de son poste. Il ne savait pas, il faudrait attendre. Attendre d'autant plus que le verre but, son supérieur reprit son explication et termina par une question. Question à laquelle il ne savait pour l'instant pas répondre.

"Liatris, Vaast... Attendez, faut que je me souvienne qui c'est, j'ai pas encore mémorisé toute la fournée de l'année."
"Mais si ! C'est le bigleux moche aux six yeux et le trophée d'étagère."
"Ah ! Je vois !"

Oui, il voyait maintenant. Aloysius se souvenait toujours des dragons d'abord. C'était plus facile, il n'y avait pas deux dragons pareils alors que tous les étudiants avaient deux bras et deux jambes. Enfin, tous les dragons pareils, non, presque. Il se souvenait de cette promotion où il y avait deux dragons frères qui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau ; ils étaient nés de la même portée et avaient choisi deux frères jumeaux tout aussi semblables l'un que l'autre. Aloysius eut un sourire. Qu'est-ce qu'ils avaient pu en faire des bêtises ces deux là ! A la fin, ils connaissaient le tarif qu'Aloysius demandait pour ne pas aller en colle et préparaient leurs forfanteries en fonction de l'argent de poche donné par leurs parents. Jamais l'expression 'acheter la paix sociale' n'avait aussi bien porté son nom. Qu'est-ce qu'il avait pu en récupérer comme argent !

Briquet vint se frotter dans ses jambes pour le ramener discrètement à la réalité. Ils n'avaient pas besoin d'utiliser de la télépathie pour savoir ce que pensait l'autre.

"Euh, oui. Donc Liatris et Vaast. Il me semble que dans le dossier de la fille nous ayons quelques informations de la part de la police. Quelques nuits en prison il me semble. Une punition intelligente pour ces deux là ? Les laisser dans une salle de classe à faire des lignes ou aux cuisines à éplucher des patates les laissera de marbre. Il faut donc leur faire comprendre que désobéir aux règles -et donc aux ordres- est dangereux voire mortel, si je ne m'abuse. Vu leur passé, il ne doivent plus vraiment faire la différence entre le niveau normal et le niveau dangereux, non ?"

Ses yeux partirent dans le vague. Il réfléchissait, il vit vaguement Briquet se gratter de nouveau mais aucune solution ne surgit.

"Vous pensiez à quelque chose en particulier ou vous me laissez carte blanche ?"

Avant que le directeur ne puisse donner les précisions sur les deux élèves, Aloysius ne pu s'empêcher de retenir un rire :

"A vous entendre, j'ai l'air d'un parfait sadique. Pourtant, vous n'aviez pas trop testé à l'époque."

Sourire amusé au visage, il hocha la tête négativement comme pour s'excuser de l'interruption et il fit un geste de la main pour inviter son supérieur à continuer. Mais à entendre l'explication concernant les deux relations gamins-dragons, il ne put s'empêcher de hausser un sourcil. Il ne se souvenait pas d'avoir lu ça dans leurs dossiers. Ce n'avait peut-être été vu qu'après leur entrée à l'académie. Il fit la moue en soupirant.

"Notre relation avec les dragons sera toujours si difficile... Toujours trouver le juste chemin entre indépendance et fusion."
"Chochotte" interrompit une petite voix à ses pieds. Aloysius continua sans s'en préoccuper.
"Il faudra trouver un moyen pour les amener vers la bonne voie mais je crains que cela ne demande un minimum de préparation. C'est un travail de fond. Pour l'instant, puisque c'est une infraction de surface -si je puis me permettre en comparaison- je vais donner une punition de surface. Je les garderais à l'oeil pour voir comment régler le problème cela dit."

Cette tâche ne faisait pas partie de son contrat de travail mais il aimait aider l'équipe enseignante sur ce genre de sujet qui n'était pas exclusivement scolaire mais relevait plutôt d'un art de vivre. Quelque part, il voyait tous ces enfants comme s'ils étaient ses vrais gamins à lui ; il fallait les aider et les guider pareillement. Même s'il ne pouvait s'empêcher de soutirer de l'argent de certains. Il prit une profonde inspiration avant de changer de sujet.

"Je venais surtout vous voir concernant deux problèmes. Le premier concerne les prévisions de nourriture pour les dragons. Parmi les nouveaux nous avons de très gros mangeurs. Autrement dit, l'approvisionnement ne va pas suffire. Nous entamons déjà les réserves pour éviter qu'ils aillent chasser ou pêcher dans les environs. Si on continue, on va encore se retrouver avec la population sur le dos. j'aurais besoin de votre accord pour aller trouver de nouvelles sources d'approvisionnement. Et euh... de budget aussi en conséquence..."

Bon, ce dernier point était toujours plus difficile. Il espérait qu'il en obtiendrait suffisamment pour ne pas avoir à renégocier tous les anciens contrats avec les fournisseurs...

Aloysius n'avait pas tort. Lima n'avait pas souvent eu à subir les punitions du concierge, ou de qui que ce soit d'ailleurs, voire jamais. Il avait été un garçon plutôt discret et un élève sérieux... jusqu'à ce qu'il rencontre Nicola du moins. Le Fulgere l'avait entrainé parfois dans des situations plus que gênantes et il lui était arriver de se faire prendre une ou deux fois. Rien de bien grave en somme. Ces souvenirs firent sourire le directeur qui ne releva pas et écouta Aloysius qui continuait déjà sur une réflexion concernant les punitions à appliquer à Vaast et Liatris. Nul doute que le concierge trouverait quelque chose d'approprié. Mais bientôt le vieillard changea de sujet pour revenir à l'objet initial de sa visite. Liam l'écouta attentivement. En effet, le sujet de l'approvisionnement en nourriture pour les dragons était une chose délicate qu'il fallait traiter avec doigté et rapidité. Pour ce qui était du budget, Liam avait sa petite idée. Il se recula avec précaution et d'un signe de la main, rassura Aloysius.

-Ne vous en faites pas pour trouver de nouveau budget. Je dois voir le gouverneur de Waterfield d'ici peu, elle est toujours prête à nous aider. Nul doute qu'elle trouvera une solution appropriée. Je pensais me tourner vers le gouverneur de Norhdeim mais avec ce qui est arrivé à Jan ces derniers temps... je pense le laisser tranquille pour le moment.

Il porta une main tremblante vers son verre et se resservi un fond qu'il avala d'une traite. La chaleur de l'alcool s'insinua en lui et adouci quelque peu ses douleurs, mais il ne devrait pas tarder à trouver Gwen quand même.

-Autre chose ? Demanda-t-il d'une voix un peu plus faible en reporta son attention sur le concierge, à qui il tendit un verre, pour lui demander s'il voulait aussi trinquer.


[Hrp : désolée, c'est court, fouette-moi]

Bon, le sujet, des deux gamins était clôt et laissé à sa totale imagination. Celui des dragons ne posait plus de problème au niveau des budgets mais il fallait conclure la chose :

"Bon, j'irai sans doute faire un voyage dans l'arrière pays pour trouver des fournisseurs. J'emprunterai un des chevaux de l'écurie."

Et oui, avec tous ces dragons, on avait quand même une écurie. C'était plutôt des bêtes de somme ou de bât mais il y avait tout de même quelques coursiers pour l'usage de personnes comme Aloysius qui ne pouvaient chevaucher leur ami à écailles. Ou sans écaille dans le cas présent.

Le directeur lui tendit un verre. Aloysius détourna la tête vers son dragon qui lui fit 'oui' du menton et il se pencha en avant pour attraper le verre. Il tendit également la main gauche pour attraper la bouteille. Il passa les quelques secondes suivantes à vider le verre dans l'autre contenant en expliquant :

"On est déjà juste dans le budget alcool."

Il reposa les objets sur la table et se lécha le doigt pour ramasser une goutte qui y avait coulé. Moyen plus ou moins discret de faire passer le message : tu bois trop, Liam !

"Mais j'ai en effet autre chose. En temps normal, je ne vous demanderai pas de m'aider mais comme vous êtes à la source de ce merdier, j'estime que vous devez aussi vous trouver à la source du problème..."

Il laissa un temps de silence de façon à ce que le message entre bien dans son petit cerveau noyé.

"Depuis cet été et votre fameuse chasse au trésor, tous les élèves ne rêvent que d'aller visiter les souterrains maintenant qu'ils croient que ce n'est pas dangereux. J'arrête pas d'en repêcher et je me demande sérieusement si je dois investir dans un harpon ou un filet pour les récupérer. Vous me conseillez quoi ?"

Il était un peu en colère, oui, et cela se sentait dans le ton de sa voix. Totalement moqueuse sur le 'fameuse' et hargneuse sur le 'quoi'. Quoi ? non, il ne craignait pas de perdre son emploi en le mettant en face de la vérité. Mais quelle idée il avait eu d'aller leur faire chercher un trésor dans ces souterrains branlants et humides où vous risquez de vous ramasser une brique sur la tête à chaque pas ou, au moins, à chaque éternuement ?

Aloysius attrapa le verre. Puis la bouteille. Liam fut quelque peu surprit. A vrai dire il ne pensait pas vraiment que le concierge accepterait de boire en sa compagnie. Il savait que le vieil homme le voyait encore comme un gamin et que cela ne changerait pas de si tôt. en revanche, il fut rassuré, d'une certaine manière, en voyant le concierge verser le contenu du verre dans la bouteille, ce qui arracha un sourire en coin à Liam. Évidemment. C'était à prévoir. Aloysius était à cheval sur le budget, et il n'y avait pas de petites économies. Cela fut d'ailleurs confirmé par la phrase qu'il sortit en lançant un coup d'oeil plus qu'éloquent au jeune homme. Puis, après avoir léché ses doigts, probablement qu'une goutte de rhum s'était échappée, il avait lancé Liam sur un tout autre sujet. Se massant les tempes, Liam soupira. Qu'est-ce qu'il pouvait avoir mal ! Il aurait donné n'importe quoi pour faire cesser la douleur... du rhum par exemple ! Mais ce n'était pas le moment. La voix du concierge était ferme. Il était en colère. Comment ? La chasse au trésor ne les avait pas amusé ? Allons bon !

-Le harpon... murmura Liam pour lui-même. Mais il savait pertinemment que le concierge avait entendu. Comme s'il n'avait rien dit cependant, il releva la tête et adressa un sourire contrit à son ainé. Il fallait rouvrir les souterrains de toute manière. Il faudra les consolider, mais pas trop. Suffisamment pour que les élèves et certains dragons puissent y entrer sans risques, mais pas assez pour que ce soit un lieu sécurisé. Ils serviront d'entrainement en cours de survie. Après tout, nous les préparons pour la guerre Rierdan. Pas à un concours de câlins.

Il se leva avec difficulté et se dirigea vers la porte de son bureau, invitant le concierge à le suivre. C'était le moment de mettre fin à cette entrevue. Il fallait absolument qu'il aille se faire soigner.

-Cessez de couvez les étudiants Aloysius. Vous êtes un père pour nous tous. Mais gardez à l'esprit que ceci est une académie militaire. Je vous remercie de vous inquiéter toujours autant pour Lindorm et pour l'excellent travail que vous y faites. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, il faut que j'aille me faire examiner. Liatris m'a bien amochée la nuit dernière. Finit-il en ouvrant la porte du bureau, attendant que le concierge parte pour lui-même partir.

Le harpon. La réponse avait presque fusé des lèvres du directeur bien qu'à voix basse. Aloysius sourit, s'imaginant en une sorte de moby dick moderne qui au lieu de chasser un hypothétique bestiau rose (ah, elle était blanche la baleine ? le rose devait le traumatiser alors..) chassait les élèves imprudents. Il s'imaginait bien le pied sur le rebord d'une barque en peau de dragon, un rire dément et les yeux rouges comme un démon et sa boulette sur l'épaule en guise de perroquet. Ça pourrait être amusant mais la viande de dragonnier ne valait pas cher sur le marché de la boucherie. Il n'y avait aucun intérêt à faire passer cette vision du fantasme à la réalité.

La suite du discours de Liam le laissait quelque peu pantois et surpris. Réparer les souterrains, d'accord, quoiqu'il faille regarder à la dépense. Mais ne pas trop les réparer ? Ça, il ne comprenait plus. D'accord, c'était pour les cours de survie, mais comment pouvait-on réaliser un truc sécuritaire mais pas trop ? Il eut une idée : il collerait toutes les briques au chatterton, ça ferait des économies de budget. Mais l'idée était mauvaise : ça serait trop solide. Il sentait qu'il n'allait pas bien dormir jusqu'à ce qu'il ait résolu ce casse-tête. Et sur qui ça retombait cette idée stupide ? Sur lui ! Encore et toujours sur lui. Et ensuite il se voyait rétorquer qu'il faudrait qu'il arrête de s'inquiéter pour les étudiants ?

Là, le jeunot avait fait ce qu'on appelait communément une gaffe. Aloysius serra les dents, réprimant à grand peine un rictus de colère. Et l'autre le congédiait comme du poisson pourri en plus ? Briquet n'avait jamais pu être télépathe mais il n'eut pas besoin de ça pour ressentir la colère de son allié. Alors qu'ils se levaient, le dragon grondait presque à feuler sur le directeur. Aloysius l'intercepta du regard et il se tut sans se calmer. L'ainé s'arrêta au niveau du jeune homme.

"Vous avez peut-être raison, Liam. C'est vrai qu'une armée qui lance des peluches de licorne sur les armée Wyrms ne serait potentiellement pas efficace. C'est pour ça qu'il vaut mieux qu'ils risquent de se rompre le cou directement dans nos murs, après tout, comme ça pas besoin de former des brancardiers. Et puis, c'est vrai que plutôt que les câlins, il est nettement plus efficace de se saluer avec de grandes tapes dans le dos, n'est-ce pas, directeur Fletcher ?" termina le concierge en faisant effectivement ce qu'il disait : c'est à dire donner une grande tape du plat de la main dans le dos du brun. Pas besoin de viser, vu sa tête, n'importe où lui couperait le souffle. 'fallait pas le prendre pour une prune, c'était tout.

La respiration sifflante et difficile, Liam tentait de se tenir droit près de la porte, tandis qu'il invitait le concierge à en finir avec cette conversation. Non pas qu'il n'en avait rien à faire, mais à vrai dire, il souffrait tellement de ses côtes que son attention n'était pas à son maximum. Le rhum commençant à agir pour soulager sa douleur et sa conscience, il n'avait plus les idées très claires non plus. Cependant, il remarqua, trop tard, que ses dernières répliques n'étaient pas du goût d'Aloysius. Quoi de plus normal après tout, Liam était un directeur actif, qui bousculait les habitudes, contrairement à ses prédécesseurs beaucoup plus âgés et souvent oisif eux-mêmes.

Il grimaça en avance en voyant la main du concierge s'avancer vers son dos pour une claque à peine retenue, histoire d'illustrer ses propos et d'appuyer... et bien, oui, là où ça faisait mal. Liam retint un cri de douleur en un grognement sourd. Ce n'était pas le moment de péter les plombs. Surtout avec un dragon de feu, si minuscule soit-il, dans les parages. Et puis Aloysius avait beau avoir la cinquantaine, il était toujours alerte et vif comme dans sa jeunesse.

Malgré tout, Liam s'abstint de répondre. Difficile de faire comprendre son point de vue à cet homme, et même aux autres, mêmes aux élèves. Et pourtant, c'était pour leur rendre service à tous s'il était parfois dur dans les exercices et les entrainements. Ce n'était pas pour rien s'il avait supplié presque à genoux Jan Wenneström de venir enseigner à Lindorm et de rester le plus longtemps possible parmi eux. Elle avait le caractère qu'il fallait et les répliques bien cinglante pour montrer aux étudiants que la vie n'était pas toute rose. Qu'en-dehors de ces murs, il y a danger et mort. Liam était un professeur peut-être un peu trop gentil, mais il était strict et intransigeant. En général il était apprécié ou carrément détesté. Mais il n'en avait cure. Tout ce qui comptait, était de former ces futurs soldats aux combats qui les attendaient à l'extérieur.

Liam ne broncha donc pas à la réplique amère du concierge, mais lui répondit par un simple sourire contrit. Que pouvait-il faire ou dire de plus ? Il n'avait pas tort. Mais il n'avait pas totalement raison. Et Liam continuerait à faire comme il avait toujours fait.

-Désolé, Aloysius. Je dois vraiment y aller. On se revoit plus tard, quand je serai en de meilleures dispositions. Bonne journée.

Puis il passa devant le vieillard, en se tenant les côtes et marcha en direction du bureau de Gwen Garon, espérant qu'elle y soit, sinon, il devrait la chercher dans toute l'académie ! Youpi !




[Clos pour ma part ^^ Merci beaucoup Aloysius et désolée que ça ai trainé en longueur, c'ets de ma faute ^^]