C’était avec une joie non dissimulée que Moïra avait apprit que son très bon ami Shaem Nazarian était devenu professeur à Lindorm. A vrai dire, c’était Ahimanu qui lui avait signalé la présence d’Arrad dans le refuge de l’école. Quelques messages plus tard et le rendez-vous était prit. Sa semaine de permission se passait pour le mieux, elle qui avait eu peur de tourner un peu en rond, au final toutes ses soirées occupées.
Sortant de la douche, elle enroula ses longs cheveux roses dans une serviette. Elle enfila rapidement un jean moulant et un haut noir qui s’ouvrait sur ses épaules, sans dévoiler pour autant son décolleté généreux.
L’histoire de sa rencontre avec Shaem avait été des plus amusantes. Enfin, à l’époque cela l’avait un peu blessé, mais à bien y repenser et avec le recul, cela était devenu une blague entre eux. Moïra avait toujours eu un faible pour les hommes de Narthan, la peau mate, des cheveux noirs, un regard à vous figer sur place. Et Shaem remplissait toutes les cases. Oh, à l’époque elle n’avait pas montré son trouble comme ça, après tout elle était étudiante à Lindorm, la même promotion, mais pas le même type de dragon. Elle s’était rapprochée de lui de façon tout à fait innocente, enfin pas vraiment et ils avaient finit par sympathiser. Des longs mois étaient passés sans qu’elle n’arrive à lui avouer son attirance pour lui, elle s’épanchait à l’époque sur l’épaule d’Hattu, vantant les mérites et la beauté du jeune homme. Son amie Roroa, lui avait dit que si elle voulait être une véritable Roroa, il fallait qu’elle prenne son courage à deux mains pour lui avouer ses sentiments.

Alors, un soir, elle avait fait le mur. Elle avait attendu que tous soit couchés et elle s’était rendu dans le dortoir des garçons. Elle savait qu’à l’époque Shaem était seul dans sa chambre car son colocataire était rentré chez lui pour des urgences familiales.
Elle avait doucement poussé la porte, avec une discrétion toute particulière. Elle s’attendait à ce que Shaem soit entrain de réviser, mais au lieu de ça, il était avec un autre garçon, au lit, tout les deux. Nu qui plus est.
Le choc fut si grand, qu’elle rougit, se sentit gêné, elle s’excusa un millier de fois, se détourna, glissa, tomba contre la porte et s’évanouit lourdement.
Quand elle avait rouvert les yeux, Shaem était avec elle à l’infirmerie, un large sourire sur les lèvres. Depuis ce jour là, il ne cessa de l’appeler Miss Catastrophe. Et la découverte du secret de Shaem les rapprocha beaucoup. Moïra avoua quand même son attirance pour lui et il en fut flatté. Mais il préférait les hommes. Alors ils restèrent de très bon amis, elle devint rapidement sa confidente et fut l’une des rares personnes à être au courant de son passé d’esclave. Elle ne le jugea jamais et le respecta encore plus. Complices, ils finirent leurs études et rejoignirent leurs escadrons respectifs. Ils combattirent ensembles lors de missions importantes et Shaem resta dragonnier alors que Moïra passait Lieutenant. Ils continuèrent de se voir, puis le Saabi devint professeur, alors elle l’encouragea de loin et ce soir, elle allait le revoir.

Impatiente, elle se sécha les cheveux, y noua un bandeau noir, enfila ses sandales et sortit de son appartement rapidement, Ahimanu accroché à son épaule.

« Pourquoi tu es si pressé, tu sais très bien qu’il est gay… » Bailla t-il en se fourrant sous les mèches roses de sa dragonnnière.

« Je sais Ahi, mais c’est mon ami et je suis contente de le revoir. Je suppose que tu étais aussi content de revoir Arrad depuis le temps… »

Le dragon poussa un léger soupir et marmonna :

« C’est pas faux… »

Pressant le pas, elle traversa Laragon alors que le soleil était déjà couché depuis un moment. Elle passa quelques petites rues pour se retrouver dans le quartier commerçant et se posta devant le bar du Marin d’eau Douce. A vrai dire, c’était le seul bar de Laragon à servir de l’alcool.
Moïra ne rentra pas dans le bar, elle préférait attendre Shaem dehors. Sa plastique lui attirait beaucoup d’ennuis quand elle était seule dans un endroit où les hommes buvaient. Pas qu’elle ne sache pas se défendre, bien au contraire. Mais elle préférait ne pas jeter de l’huile sur le feu et se présenter en compagnie de quelqu’un. Cela dissuadait souvent les inopportuns de venir la taquiner. Son uniforme des Escadrons était d’ailleurs une toute autre barrière qui fonctionnait à merveille.
Elle n’attendit pas longtemps avant de voir la haute silhouette du Saabi approché. Impatiente, elle courut vers lui et lui sauta au cou.

« Shaaaaeemm !! » Riant, elle lui planta un énorme baiser sonore sur la joue et retomba sur ses pieds avec souplesse avant de le dévisager. Fronçant les sourcils elle dit d’une voix concernée : « Oula ! Toi t’as une sale tête ce soir, le statut de professeur n’est pas aussi reposant que tu le pensais… »

Penché sur le dos de son dragon, Shaem s’éloignait de l’Académie.
Il venait de terminer sa seconde semaine de cours et le bilan n’était pas glorieux en dehors des cours.
Arrad, avec son foutu caractère, était parvenu à blesser une élève en manquant de se battre avec son dragon. Son autorité en avait pris un coup.
Mais surtout il y avait Maelen, cela faisait seulement deux semaines qu’ils s’étaient retrouvés et tout ce qu’il pouvait dire, c’était que leur relation ne ressemblait plus du tout à celle qu’ils avaient eu lorsque le garçon était encore enfant. La première semaine, ils s’étaient engueulés à la suite de reproches trop longtemps contenues et la deuxième semaine, ils s’étaient encore engueulés ! Ils étaient parvenus à se pardonner leur querelle de la première semaine, mais Maelen avait eu la bonne idée de l’embrasser !!
De l’embrasser bordel ! Et ce juste après lui avoir dit qu’il l’aimait !

Shaem grogna et laissa tomber sa tête en avant contre la peau dure de la base du cou de son dragon.
Ce garçon allait le rendre fou. Cette école allait le rendre fou également avec les conflits entre élèves à gérer en plus de ses propres problèmes.
Et en plus, Maelen le fuyait à présent comme la peste, il ne le voyait plus nulle part, mise à part lors du dernier cours où il n’avait pas pu s’approcher du garçon un seul instant, le dragon de ce dernier lui ayant promis qu’il lui arracherait la tête s’il approchait. Shaem aurait pu ne pas se laisser intimider, surtout qu’Arrad n’avait franchement pas été content de l’attitude agressive de l’autre dragon à l’égard de son dragonnier. Mais il ne voulait pas d’un conflit en plein milieu de son cours.
Alors il avait laissé couler et il n’avait pas approché le garçon de tout le cours.

Autant dire qu’il n’était pas au top de sa forme pour revoir Moïra, cette miss Catastrophe qui était devenue sa confidente. Lorsqu’elle lui avait proposé de le revoir, il avait sauté sur l’occasion, elle était ce dont il avait besoin à cet instant.
C’était toujours mieux que d’aller trouver un beau jeune homme pour se vider l’esprit … enfin … au pire, ça ne l’empêchera pas de faire les deux vu qu’il se rendait au cœur de Larragon.

*Enfin c’est pas aux côtés de Miss Catastrophe que tu vas pouvoir trouver ce que tu cherches*

Judicieuse remarque.
Après tout, avec ses formes, Moïra allait attirer les hommes les plus hétéros de l’île.
Peu importe. Il n’était pas là pour ça de toute manière, il avait besoin de se vider la tête et revoir son amie allait déjà bien l’aider dans cette voie.

Après qu’Arrad l’ait déposé à l’extrémité du quartier des commerces et que Shaem l’ait remercié, il prit la direction du bar que lui avait indiqué son amie. Et c’est en marchant tranquillement le long des commerces qu’il sourit en se rappelant de sa véritable première rencontre avec Moïra.
Il se rappelait bien de cette soirée où il avait profité de l’absence de son colocataire pour inviter l’un de ses camarades dans leur chambre. Il n’était pas du genre à crier son homosexualité sur les toits, mais il ne s’était pas non plus privé durant ses cinq années de scolarité. Quelques regards, quelques discrets frôlements et il était toujours possible de trouver un endroit pour s’isoler et faire comprendre à l’autre que l’on était intéressé.
Ils étaient donc en pleine action lorsque la jeune femme avait eu la bonne idée de débarquer dans sa chambre, pour lui avouer ses sentiments lui avoua-t-elle plus tard, et si l’interruption avait déjà suffit à faire retomber certaines ardeurs, Moïra était parvenue à s’assommer en essayant de s’échapper de la chambre à toute vitesse.
Autant dire que la soirée, qu’il avait espéré torride, ne s’était pas du tout déroulée comme il l’avait espéré. Mais s’il perdit un camarade jeu ce soir-là, bien trop honteux d’avoir été pris en flagrant délit pour vouloir retenter l’expérience, il y gagna une très bonne amie.

La jeune femme était simple et adorable.
Elle était pleine de vie quand lui restait calmement à ses côtés à l’écouter parler et à l’aider à se relever lorsque sa maladresse la faisait trébucher, au sens propre comme au sens figuré.
Elle était l’oreille humaine attentive qu’il n’avait jamais eue au cours de son adolescence et qu’il avait commencé à avoir avec Arrad. Mais allez parler beau garçon avec un dragon …

Au détour d’une ruelle, il l’aperçut enfin joliment vêtue dans des vêtements simples qui la mettaient en valeur, il allait encore servir de bouclier ce soir, et son humeur noire des deux dernières semaines s’améliora un peu. Lui était habillé simplement ce soir, pantalon de lin ample et simple tee-shirt prêt du corps. Cela suffisait à dévoiler ce qu’il fallait pour décourager les pas-très-costauds de lui voler sa compagne de la soirée.
Son moral un peu bas l’empêcha d’exprimer pleinement la joie qu’il ressentait en la revoyant, mais un sourire doux étira quand même ses lèvres lorsque la jeune femme cria son nom après lui avoir sauté dessus.

« Moi aussi, je suis content de te revoir Moïra »

Il la serra brièvement contre lui avant qu’elle se s’écarte pour lui planter un baiser sur la joue.
Et il suffit d’un coup d’œil de la part de la jeune femme pour que celle-ci se rende compte que quelque chose n’allait pas.
Pourtant Shaem n’était pas de ceux qui laissaient paraître leurs émotions sur leur visage. De part son passé, il avait toujours appris à se contrôler, à taire et à masquer ce qu’il pensait vraiment … il était vrai que son caractère entier l’empêchait d’exceller dans son domaine. Et Moïra avait un œil de lynx.

« Tu sais toujours aussi bien lire dans mes pensées »Il jeta un coup d’œil au petit dragon perché sur l’épaule de sa dragonnière « Bonsoir Ahimanu »

Il sourit, passa délicatement son bras autour de la taille de son amie et lui déposa un léger baiser sur la tempe lui témoignant à son tour, mais d’une manière plus réservée, la joie qu’il ressentait en la retrouvant.
Il inspira brièvement sa douce odeur qui l’apaisa, puis l’entraina ensuite doucement à sa suite en direction du bar.

« Je vais avoir besoin d’un bon remontant pour te raconter ces désastreuses premières semaines de cours ma belle »

Gardant la jeune femme proche de lui, il pénétra dans le bar en marquant directement son territoire grâce à cette étreinte. Il était content pour son amie qu’elle attire les hommes, mais il n’était pas d’humeur à la partager ce soir.
En se dirigeant en direction d’une table un peu reculée, ils passèrent à côté d’une serveuse qui prenait la direction du bar. Shaem l’arrêta brièvement en posant une main sur son avant-bras et en lui offrant un sourire un brin charmeur.

« Si vous pouvez nous apporter deux pintes dès que vous aurez un instant »

Voilà la commande était passée et Shaem n’eut plus qu’à atteindre la table qu’il souhaitait. Il relâcha la jeune femme et se laissa tomber sur l’une des banquettes en lâchant un bref soupir.

« Alors Lieutenant, votre commandant vous a finalement accorder une permission ? »

Même s’il savait que ça lui ferait du bien de parler, il n’était pas du genre à déballer tout son linge sale de but en blanc. Même à sa meilleure amie.
Alors il préférait éloigner la conservation de sa petite personne en se concentrant sur Moïra.
Même s’il savait que la jeune femme n’allait pas le lâcher aussi facilement.

La haute silhouette de Shaem était reconnaissable entre mille. Enfin du moins pour Moïra, après tout elle avait passé des mois à l’observer en secret. Elle était donc tout à fait capable de dire si l’homme allait bien ou non. Les traits légèrement tirés, les sourcils un peu froncés, oui, ça n’allait pas dans la vie du Saabi.
Lui rendant son étreinte, elle retrouva l’odeur caractéristique des hommes de Narthan et ses pensées s’égarèrent dans le désert de Firthan ou vivait sa seconde famille. Dernièrement, elle avait aussi le cœur qui se serrait un peu de douleur en pensant aux Roroas. Sa sœur de cœur Hattusha était tombée au combat, disparue pour toujours. Et Moïra s’en voulait, c’était son devoir de protéger ceux qu’elle aimait, c’était son rôle et même si Hattu était suffisamment forte pour ne pas avoir besoin d’elle, Moïra aurait voulut être là, à ses côtés. Elle n’avait même pas pu lui dire au revoir…
Secouant la tête légèrement pour effacer ses pensées, elle fit place nette dans son cœur et se colla contre Shaem qui la prenait dans ses bras. Oui, il avait toujours été prévenant avec elle, peut être pour se racheter de ne pas avoir pu répondre à ses sentiments, peut être simplement qu’il était dans la nature de Shaem d’être proche de ceux qu’il aimait.
Posant sa tête contre son épaule, elle rit doucement quand il évoqua le fait que cette soirée tombait à pic. Il avait visiblement besoin de changer d’air.
Ahimanu lui répondit poliment et resta caché dans les cheveux ondulés de sa dragonnière. Il n’aimait pas trop les endroits enfumés et le bar en était un. Un de ces vieux bars qui semblaient tout droit sortit d’un livre de pirate, avec le parquet qui craque et semblait tanguer, avec cette ambiance portée sur l’alcool ou une bagarre pouvait vite dégénérée, ou les cris des paris était un fond sonore plaisant.
Moïra avait connu beaucoup de bar, beaucoup plus mal famés qu’ici. Après tout, quand il fallait débusquer les Wyrms, ont allait rarement les chercher dans des palais. Alors non, elle n’avait pas peur de ce bar, il semblait paisible à côté de tout ce qu’elle avait vu.

Quand ils passèrent la porte, elle sentit bien les regards qui se tournèrent vers eux, mais elle les balaya d’un sourire et emboita le pas à Shaem.

« Trois pintes plutôt s’il vous plaît ! » Rajouta t-elle à l’intention de la serveuse.
Puis elle se glissa sur la banquette, elle replia une de ses jambes sous elle et se cala confortablement.

Ses yeux bruns fixèrent Shaem et elle lui sourit tranquillement.

« Ahahaha ! Oui, disons plutôt que j’ai enfin osé lui demander…Tu sais depuis l’accident il y a trois ans, je m’en veux un peu de le laisser tout seul. Le capitaine Mac Lochlainn n’est pas quelqu’un qui penserait à manger si on ne lui disait pas. »

Souriant en pensant au capitaine, elle rajouta doucement.

« Mais j’avais des choses à faire à Laragon. J’ai hérité de l’appartement de mes parents. Il n’avait pas été ouvert depuis plus de 28 ans…Il fallait bien quelqu’un pour aérer tout ça. »

Penchant la tête, laissant ses longs cheveux roses cascader sur son épaule, elle tourna la tête quand la serveuse apporta les pintes.
Elle prit la sienne et en glissa une sur le côté. Ahimanu sauta sur la table sous le regard un peu surprit des curieux qui regardaient dans leur direction et s’approcha de la pinte avant de boire la bière avec ivresse.

« Ohoh ! Une bonne blonde comme j’aime… »

Moïra rit de bon cœur et leva son verra à Shaem pour trinquer avec lui.

« Mais assez parler de moi ! Tu ne détourneras pas la conversation aussi facilement, qu’est ce qui se passe à Lindorm pour que je te retrouve aussi lessivé qu’une serpillère… »

Riant, elle porta la pinte à sa bouche et avala une grande gorgée du breuvage ambrée et amer. Aaaah, une bonne bière, il n’y avait que ça pour la requinquer.

En entrant dans le bar, Shaem ne perdit pas de temps pour passer leur commande.
N'ayant pas l'habitude d'emmener son dragon dans les bars, parce qu'Arrad était bien trop imposant pour rentrer dans une telle bâtisse, il oublia Ahimanu mais Moïra le corrigea en commandant une pinte supplémentaire pour satisfaire son drôle de petit dragon.

Au départ, Moïra ne chercha pas à le cuisiner.
Elle répondit à sa question en parlant de son capitaine.
Il connaissait les sentiments de la jeune femme pour cet homme qui l'avait sauvé, enfin surtout la culpabilité qu'elle éprouvait à son égard suite à son incident peu après qu'elle ait intégré son escadron. Il était content de savoir que si la jeune femme prenait soin de son capitaine, parce que ce dernier devait également garder un œil sur elle. Et cela le rassurait, puisqu'il était à Lindorm à présent et non plus au front aux côtés de la jeune femme.

« C'est bien que tu puisses prendre un peu de temps pour toi. J'en suis content en tout cas, ça nous permet de nous revoir »

Il allait l'interroger sur son appartement lorsque la serveuse arriva et déposa leur consommation devant eux. C'est ce moment que choisit le petit dragon pour sauter enfin de l'épaule de sa dragonnière, quittant sa cachette pour, visiblement, plonger avec délice sa petite gueule dans la pinte qui lui était destinée.
Cela fit rire Shaem qui détourna son attention du petit dragon pour saisir sa propre bière et trinquer avec son amie.

Et la jeune femme sauta sur l'occasion pour ramener la discussion sur lui ce qui lui fit avaler sa première gorgée de bière en grimaçant. L'espace de quelques instants, il avait oublié la mauvaise ambiance qui lui pesait sur les épaules à l'Académie.
La chaleur, la bonne humeur et l'énergie de Moïra lui avaient presque fait oublier ses soucis et lorsqu'elle les lui rappela il eut presque envie d'aller se blottir comme un enfant contre elle.
Mais il se permettait que très rarement de tels gestes qu'il jugeait faibles, il n'en avait pas eu beaucoup l'occasion étant enfant puisqu'il était devenu l'homme de sa famille bien trop jeune.

« Ça se voit tant que ça ? »

Maelen
Il sourit mais avec un peu moins de joie qu'à l'extérieur du bar lorsqu'il l'avait retrouvée.
Parce que la cause principale de son humeur plus que maussade, il la connaissait bien et pourtant ce ne fut pas ce dont il parla en premier à la jeune femme.

« Les cours se passent plutôt bien, mais je ne pensais pas que les élèves pouvaient être aussi ... jeunes et bêtes. En deux semaines, j'ai déjà du punir trois filles qui s'en prenaient à une quatrième et séparé deux garçons qui se battaient pour une fille ... ou une arme, je ne sais déjà plus » Il prit une gorgée de sa bière avant de lâcher un bref rire « On était déjà comme ça lorsqu'on étudiait à Lindorm ? »

Bien entendu il était un peu de mauvaise foi.
Il se rappelait bien les bagarres et les disputes dans lesquelles il avait été impliqué au cours de ses cinq années d'étude. Même s'il était calme la plupart du temps, cela n'empêchait pas que son mauvais caractère finissait par ressortir de temps en temps ... lorsque des filles un peu trop jalouses s'en prenaient à Moïra pour une histoire de garçon, par exemple.
Cela le fit rire un peu bêtement alors que son regard se perdait brièvement dans son verre et forcément la cause de la plupart de ses ennuis de ces derniers jours continua à résonner dans sa tête.
Maelen
Il releva alors la tête un sourire toujours accroché aux lèvres alors que sa poitrine se serrait encore.

« Ah oui et Arrad a reçu à blesser une élève en manquant de se battre avec le dragon de foudre de celle-ci. Parce qu'il a volé un peu trop près d'eux en chassant un goéland et que c'est l'autre dragon qui a gobé l'oiseau. Je suis arrivé au milieu de l'histoire et c'est la jeune fille qui a réussi à calmer les deux bestiaux. Autant te dire que mon autorité en a prit un coup »

Il regarda son amie et le poids se fit encore plus lourd dans sa poitrine.
Maelen
Il porta son verre à ses lèvres, but une brève gorgée et sa gorge se serra alors que son sourire s'estompait. Il finit alors par lâcher presque qu'innocemment ce qui lui pesait sur le cœur.

« Ah et j'ai retrouvé Maelen. Il est inscrit à l'Académie en première année »

Ce petit moment de détente et de retrouvaille emplit le cœur de Moïra de joie. Voir Shaem lui redonna du baume à l’âme et elle ne pu s’empêcher de sourire comme une idiote. C’était ce qu’elle préférait le plus au monde, être assisse dans un bar, entouré des gens qu’elle aimait, qu’elle respectait, à rire, à boire, à refaire le monde. C’était ces moments là qui lui faisait rester dans l’armée, ces trop rares moments où tout semblait paisible, comme si le lendemain toute trace de guerre aurait disparue et que son métier n’aurait plus de raison d’être. Elle l’espérait, de tout cœur, elle le souhaitait. Et pourtant dans son esprit, elle ne se voyait pas autre part qu’au milieu de son escouade, arme à la main, Ahimanu sur l’épaule.
Serait-elle capable de faire autre chose quand la paix instaurée par Limlug serait éternelle ? Serait-elle capable de se poser tranquillement ? De fonder une famille, d’être une épouse ? Une mère ? Elle ne le croyait pas, non, dans ses pensées elle se voyait disparaître avec la guerre. Elle se voyait emporté à tout jamais en ayant défendu de son corps et de son âme ceux qu’elle aimait. Elle retournerait à l’état de poussière et finirait comme un petit grain de sable sous les pieds des futures générations de Roroas qui vivraient enfin en paix avec le monde entier.

Oui elle était naïve, oui elle était un peu bête. Mais il y croyait et gardait espoir. Elle ne vivait que pour ça, pour ce moment où il faudrait poser les armes pour embrasser le monde. S’ouvrir en grand à l’inconnu, aux inconnues, à tous ces gens qui la fixaient de leurs grands yeux inquiets quand elle passait prés d’eux avec son uniforme. Pour tous ces enfants orphelins, pour toutes ces femmes bafouées et injustement punies, pour tous ces hommes brûlés d’avoir eux à protéger des flammes de la guerre ceux qui comptait à leurs yeux.

Oui elle se battait et elle se battrait encore, jusqu’au bout. Alors quand elle fixa Shaem, quand elle entendit sa voix rauque et chaude, elle sut qu’elle avait fait le bon choix, elle savait que même si ses mains étaient couvertes de sang, au moins ce ne serait pas celles d’un gamin de Lindorm.

Ahimanu sentit son trouble, il tourna la tête vers elle, mais elle le rassura en posant sa main sur sa tête et lui caressant les poils justes derrières les oreilles.

Riant à toutes les péripéties qu’il était arrivé à son ami en moins de deux semaines, elle ne put que rajouter le sourire aux lèvres :

« Tu sais, je crois vraiment qu’on n’était pas mieux. Nous étions un peu plus âgé certes, mais combien de fois tu as fais le mur ? Combien de fois as-tu frappé un garçon parce qu’il ne m’avait pas regardé dans les yeux ? Combien de fois j’ai fais le mur pour aller boire à Laragon avec les amis ? Combien de fois j’ai eu des soucis à cause d’Ahimanu qui se faufilait sous les douches des filles ?...Ahaha, je crois vraiment qu’on était pareil à cette époque… »

Ahimanu la fusilla du regard et grogna alors que sa gueule plongeait dans la pinte pour laper la bière. Puis Moïra porta de nouveau son verre à ses lèvres, avant d’entendre la dernière phrase de Shaem. Elle faillit s’étrangler et toussa ayant avalé de travers.

« Pardon ? » Toussota t-elle en reposant sa pinte. « Maelen ? Ton Maelen ? Le gamin d’Aéria ? Noooon ? »

Ecarquillant les yeux elle se laissa tomber contre la banquette et éclata d’un rire sonore.

« Ahahaha, si on me l’avait celle-là, je crois que je ne l’aurais pas cru… » Essuyant les larmes au bord de ses yeux. Elle essaya de reprendre son sérieux et se pencha en avant pour chuchoter sur le ton de la confidence. « Et alors ? Tu dois être content non ? Il te manquait terriblement quand on était à Lindorm ! »

Moïra ne s’imaginait pas combien le problème de Shaem était lié à Maelen. Oh que non, elle ne pouvait pas se l’imaginer…

Trop captivé par ses propres pensées et ses soucis, Shaem ne remarqua pas vraiment que l’esprit de la jeune femme était partie ailleurs l’espace de quelques instants.
En temps normal, il l’aurait certainement vu, comme la jeune femme s’était tout de suite aperçu en le voyant que quelque chose n’allait pas chez lui en ce moment.
Mais il enchaîna sur les péripéties mineures qui troublaient son nouveau quotidien à l’Académie et il sourit à la remarque de sa compagne. Parce qu’elle n’avait pas tord. Il avait été prompt à se battre pour elle et à s’échapper plus ou moins discrètement de l’Académie pour profiter de la vie nocturne. Alors il rit doucement surtout face à l’air contrarié du petit dragon.

« OK tu marques un point là, on n’a pas été très sages de notre côté »

Et puis il lâcha finalement sa petite bombe. Ou presque.
La cause véritable de sa mauvaise humeur et de la fatigue qui lui pesait sur les épaules depuis ses deux premières semaines de cours. Ça avait été clairement les montagnes russes avec Maelen :
Des retrouvailles surprises lors de son premier cours aux premières années
Une rencontre le soir même où les reproches du garçon l’avaient déjà durement atteint
Et puis finalement leur réconciliation … qui avait durée cinq minutes avant que Maelen s’enflamme et l’embrasse, clairement déboussolé par tant d’émotions.

Il rit face à l’enthousiasme de sa camarade, après tout, elle avait été la seule à qui il avait dévoilé son passé d’esclave à l’Académie, elle était donc également la seule à l’époque à connaître l’existence de Maelen. Alors s’il s’était tu la plupart du temps, ce fut lorsqu’il eut un coup dans le nez, qu’il avait fini par laisser parler ses regrets et surtout l’inquiétude qu’il éprouvait suite à sa fuite d’Aeria.
C’était à ses côtés qu’il avait laissé parler le manque terrible qui le tiraillait tous les jours depuis ses dix neuf ans.

« Oui, ça m’a un peu surpris. Je n’aurais jamais imaginé le revoir à l’Académie, c’est … enfin je trouve que ce n’est pas un endroit pour lui »

Les mots sortaient un peu difficilement parce qu’il avait du mal à formuler ses pensées.
Et pourtant ces reproches, il les avait déjà faits à Maelen le soir de leurs retrouvailles.
Il savait bien ce dont il avait peur.

« Vu le milieu dans lequel il a été élevé, il n’a pas été préparé à devenir un soldat. Il s’est inscrit à l’Académie lorsqu’il a su que j’allais y être professeur et parce qu’il veut pouvoir libérer tous les esclaves d’Aeria. C’est beau … mais il n’a rien à faire sur le front. Et pourtant c’est ce qui l’attend dans cinq ans » La colère recommençait à prendre le pas sur son humeur plus calme et les yeux toujours fixés sur sa bière, il continua « Bon sang ! Il a le vertige en plus, il est incapable de voler sur son dragon »

Bien sûr il savait qu’après cinq années d’enseignement Maelen serait bien capable d’être un soldat, l’Académie était faite pour ça. Lui, par exemple, n’avait jamais été préparé au cours de son enfance à devenir un soldat. Mais il avait eu un passé rude qui l’avait préparé plus facilement à ce qui l’attendait. Parce que dès le départ, la vie ne l’avait pas épargné.

Il soupira et se passa une main dans les cheveux soulevant puis laissant retomber les mèches un peu longues qui recouvraient son front. La colère retombait doucement, aussi rapidement qu’elle était venue. Et ça, c’était grâce à la présence de Moïra, il lui semblait qu’elle avait toujours eu comme un don pour l’apaiser.

« Bien entendu, il ne m’a pas écouté lorsque j’ai essayé de lui en parler. Il … »A nouveau, il hésita, releva les yeux vers son amie puisant un peu de force dans son regard « Il m’a reproché mon départ et le vide que j’ai laissé derrière moi. Je le savais pourtant, mais il l’a pris encore plus mal lorsque je lui ai expliqué que je n’avais pas eu d’autres choix que de faire passer ma famille en premier » Ses doigts continuèrent à jouer sur le verre de sa pinte traçant quelques arabesques sur la buée « Enfin il a fini par venir s’excuser cette semaine pour ce qu’il m’avait dit … comme quoi il a grandi. J’ai du mal à y faire, il a changé »

Et Shaem s’arrêta là avec un sourire qui manquait toujours de joie.
Il oublia intentionnellement le dernier, mais pas le moindre, évènement en date qui était la cause principale de son humeur actuelle.

Repenser à ses souvenirs de Lindorm lui donna du baume au cœur. Cela la réchauffait, autant que la bière qui coulait dans sa gorge. Elle revoyait Shaem dans sa folle jeunesse, pendant sa première année où il n’avait pas fait trop de vague, avant de s’affirmer d’année en année. Elle l’aimait ce Shaem là, libre et souriant. Elle aimait aussi qu’il s’inquiète comme ça pour quelqu’un qui avait vécu avec lui à la mauvaise période de sa vie.
Moïra considéra qu’il n’y avait ni bon, ni mauvais moment, chaque souvenir devenait ce qu’on en choisissait d’en faire. Même les pires choses pouvaient avec le recul être bénéfiques. Sa peur et ses remords envers le Capitaine la menait aujourd’hui à être plus forte que jamais, à essayer d’être douce et attentionnée. La mort de ces parents lui avait permit de retrouver les Roroas, de se mêler à eux et d’être plus forte que jamais.

Elle savait que Shaem tenait énormément à ce garçon dont il s’était occupé toute son enfance. Qu’il lui avait beaucoup manqué et qu’il devait bien être l’unique bon souvenir de son séjour en Aéria.

Lui souriant, elle posa sa main sur la sienne pour l’apaiser quand la voix du Saabi monta dans les graves sous le coup de la colère.

« Tu sais, je crois que personne n’est préparé à devenir soldat. Même si Lindorm entraîne les jeunes dragonniers, aucun d’entre eux n’est préparé au champ de bataille… »

Riant au souvenir que Maelen avait le vertige, elle tendit la main pour dégager le visage de Shaem d’une mèche qu’il avait mit de travers.

« Dis plutôt que tu as peur de le perdre ! »

Ses yeux bruns fixèrent Shaem et elle poussa un petit soupir avant de s’enfoncer dans la banquette pour écouter ce que son ami avait à lui livré
Maelen semblait être du genre têtu et assez exigeant. Après tout c’était un noble d’Aéria, il ne venait pas du même monde que Shaem.
Elle voyait bien qu’il était troublé, toute son attitude semblait tendu, un peu perdue. Mais elle le laissa parler, pour une fois que ce n’était pas elle qui était aussi bavarde qu’une pie.
Penchant la tête, elle fit un sourire rassurant à son ami et acquiesça.

« Il s’est excusé non ? C’est bien la preuve qu’il à grandit...Ahalala Shaem, tu ne pensais tout même pas que tu allais retrouver un gamin de dix ans si tu étais retourné là-bas. Le temps file à toute vitesse, bientôt tu auras trente ans et chaque année que tu prendras, il les prendra aussi… »

Se tournant vers la serveuse qui passait, elle commanda quelque chose à grignoter.

Levant de nouveau la main, elle caressa la joue de son ami pour l’apaiser. Elle le voyait sourire mais son cœur semblait lourd.

« Dis moi tout, je vois bien qu’il y autre chose. Tu devrais être beaucoup plus heureux de le retrouver, de voir qu’il est dorénavant capable de s’excuser…Tu l’as bien élevé Shaem, tu devrais être fier ! »

Ahimanu était accroché à sa pinte et il lâcha un petit rot en retombant sur la table sa pinte à demi-pleine.

« Oups » Fit-il avant de s’asseoir sur la table.

Moïra lui fit les gros yeux mais ne pu s’empêcher de sourire.

« Dis-moi ce qu’il t’as fait ce garnement, que j’aille lui botter les fesses ! »

Riant, elle resta là, sa main dans celle de Shaem, essayant de le rassurer, le fixant de ses grands yeux innocents.

Peu à peu, il se mit à parler de Maelen.
Il en oublia le lieu où ils se trouvaient, les conversations bruyantes, les verres que l'on reposait un peu brutalement sur le bois, les cris, les rires rauques, le gloussement de la serveuse.
Il sentait distraitement sous ses doigts la fraîcheur du verre qu'il portait trop peu fréquemment à ses lèvres profitant à peine du breuvage amer qui n'aidait pas à lui délier la langue.

Mais il la voyait elle, son amie de l'Académie et sur le front.
Cette jeune femme aux longs cheveux roses qui lui souriait avec douceur et qui l'écoutait déballer son linge sale. Il savait qu'elle savait qu'il ne lui avait pas tout dit. Il savait qu'il craquerait et qu'il lâcherait ce souvenir, ce bref évènement qu'il gardait encore jalousement pour lui et qui lui empoisonnait l'esprit depuis quelques jours.
Elle avait les mots justes, elle savait interpréter les colères du Saabi sachant qu'elles cachaient en vérité une peur toute simple : il ne voulait pas voir Maelen sur le front, il n'était pas sûr d'être capable de le protéger une fois qu'il y serait.
Elle avait les mots pour le rassurer, pour lui expliquer ce qu'il savait déjà : que Maelen était juste encore trop immature et que ses reproches avaient dépassés sa pensée. Elle insista sur l'essentiel, sur les excuses du garçon qui auraient du apaiser le natif de Narthan ... s'il n'y avait pas eu la suite et cette triste réalité : Maelen avait grandi. Il n'était plus l'enfant que Shaem avait connu. Le Saabi eut d'ailleurs le droit à un petit rappel à l'ordre lorsque la jeune femme lui rappela son âge.

« Hmm, je ne les ai pas encore ...»

Il savoura les doigts chauds de la jeune femme sur sa peau et s'y appuya légèrement alors qu'elle l'intimait de continuer, de lui raconter ce dernier évènement qu'il lui cachait encore.
Il soupira un peu et il s'apprêtait à parler lorsque le petit dragon à leur table lâcha un rot sonore tirant un nouveau sourire au Saabi. Il garda la main de la jeune femme dans la sienne, puisa dans ce contact le courage de parler de cet évènement pour lequel il se voilait encore la face.
En temps normal, il aurait rit avec elle alors qu'elle lui proposait de botter les fesses de Maelen, après tout le jeune homme méritait bien une bonne fessée pour toutes les contrariétés qu'il lui faisait subir depuis son arrivée à l'Académie.
Shaem attendit encore une minute, observant distraitement le détail d'une mèche de cheveux roses qui s'était échappée du bandeau noir, venant effleurer la joue gauche du lieutenant des Comètes de feu.
Jusqu'à ce qu'il parle enfin, le regard plongé dans celui de son ancienne camarade.

« Maelen s'est excusé, il m'a parlé de son père malade. Tu me connais, je l'ai serré dans mes bras, comme je l'avais fait si souvent lorsqu'il était enfant, pour m'apaiser et le rassurer. Et ... et cet imbécile m'a embrassé! »

Il lâcha la main de Moïra, ses doigts se resserrent en un poing qu'il retient d'écraser sur la table, effrayant tout de même un peu la serveuse qui leur apportait ce qu'ils avaient commandé. Il s'excusa vaguement, l'esprit toujours ailleurs. Une fois de plus il avait laissé la colère prendre le pas sur ses sentiments.
Et principalement sur la peur qui se faisait de plus en plus présente en lui.

« Je ne sais pas ce qui lui a pris, il devait être déboussolé. Et j'ai ... j'ai réagi un peu brusquement. Je me suis fâché, je suis prof maintenant, j'aurais pu perdre ma place si on avait vu un élève m'embrasser »

Nerveusement, il passa sa main dans sa frange, puis sa nuque qu'il fit craquer en basculant la tête sur le côté. Même si les vertèbres se remettaient en place, il n'était pas soulagé pour autant.
Et il continua à parler, épuisant très certainement son quota de paroles pour un long moment.

« Je me rends compte que j'y suis allé un peu fort et je n'ai pas eu le temps de réagir qu'il s'enfuyait déjà. Son idiot de dragon a fait en sorte que je n'arrive pas à le suivre ... et depuis impossible de le croiser dans l'Académie ou de l'approcher pendant mes propres cours, je me ferais arracher la tête directement »

Il pesta un peu, but une gorgée hydratant de nouveau sa gorge desséchée par ce flot de paroles inhabituel pour lui puis soupira.
Enchaînement de petites mimiques et de gestes impulsifs qui trahissaient sans mal la nervosité du jeune professeur.

« Pourtant si j'arrivais à lui parler, on pourrait s'expliquer. J'en suis sûr que c'est un malentendu, il était tout simplement content que l'on se retrouve »

Sa gorge se serra un peu parce qu'il ne voulait pas écouter ce que son coeur lui soufflait.
Il lâcha à nouveau plus faiblement.

« Ça ne peut être qu'un malentendu »

Il ne pouvait pas imaginer les choses autrement.

Tranquillement, elle fixa Shaem de son regard brun. Elle pencha la tête et laissa son ami s’exprimer. Moïra savait qu’il lui cachait quelque chose. Cela se voyait aux plis entre ses sourcils froncés. Un peu comme lui, la jeune femme était incapable de cacher quoi que se soit. Son visage était un véritable livre ouvert. Cela lui avait d’ailleurs déjà joué beaucoup de tour.
Elle se souvenait d’un garçon qui lui avait avoué son amour à Lindorm, son visage avait prit une moue contrariée avant même qu’elle n’ai eu le temps de s’exprimer. Le garçon l’avait mal prit et l’avait traité d’allumeuse.
L’époque de Lindorm était désormais révolue, mais cela faisait du bien d’y repenser. C’était une époque qui malgré les tentions avec les Wyrms, avait été plus qu’heureuse. Enfermé dans cette école militaire il était difficile de se rendre compte de ce qu’il se passait à l’extérieur. C’était un véritable microcosme à lui tout seul. Les dragonniers de Lindorm avait tendance à se lâcher, ils quittaient pour la plupart leurs parents, vivaient une vie simple et bien remplie. Il y en avait pour tout le monde, chacun était différent et côtoyer autant de personne d’horizons multiples était un véritable plaisir.

Moïra sentait bien que Shaem était tendu, énervé. Elle vit ce poing s’abattre sur la table et se dit que le problème semblait bien plus profond qu’une simple dispute. Puis il y eu cette histoire de baiser. Le lieutenant poussa un petit « oh » surprit, mais continua d’écouter avec attention. Elle ne remarqua même pas la serveuse qui déposait deux assiettes remplis de quoi grignoter sur le côté. Elle ne cessa de fixer son ami avant de pousser un léger sifflement quand il eu finit. Ses yeux glissèrent sur le torse de Shaem, sur ce collier qu’il portait constamment, cette pierre bleue qui lui rappelait chaque jour son passé d’esclave et son attachement pour son « Maître ».
A vrai dire, elle ne savait pas trop quoi répondre. Maelen semblait aussi passionné qu’impulsif. Certes ce baiser pouvoir avoir été emporté, mais elle se demandait vraiment si il pouvait s’agir d’un malentendu.
Shaem se voilait la face, ce devait être dur pour lui de s’imaginer que le gamin qu’il avait élevé lui porte des sentiments plus grands que ceux qu’il imaginait.

Portant sa chope à ses lèvres, elle avala deux grandes gorgées et la reposa un peu brutalement.

« Allons Shaem ! Tu crois vraiment qu’il n’est pas capable de faire la différence entre l’amour et le bonheur de te retrouver ? »

Passant sa langue sur ses lèvres, elle rajouta d’une voix convaincue :

« Peut être qu’il s’est laissé emporté par le moment, mais je ne pense pas qu’on en vienne à embrasser quelqu’un par erreur, ou par emportement. Ou alors si c’est le cas, c’est qu’il y a quelque chose derrière tout ça. Je n’irais jamais voler un baiser à un simple ami, même si je suis heureuse de le revoir. »

Fixant Shaem, elle plongea ses yeux dorés dans les siens avant de fixer Ahimanu qui avait finit sa bière depuis longtemps.

« Il faut que tu arrives à lui en parler, calmement. Je sais que dés que quelque chose te touche trop personnellement tu as cette tendance à démarrer au quart de tour…Il faut mettre tout ça à plat. »

Plongeant sa main dans la petite barquette de frite chaude et croustillante qui se trouvait sur la table, elle en porta une à ses lèvres et rajouta avec un clin d’œil :

« Tu crois vraiment que si tu étais juste un vague souvenir, il se serait donner autant de mal pour te retrouver. Il a traversé la moitié du monde pour te retrouver, il est prêt à devenir un soldat et à mourir au front juste pour passer cinq ans avec toi. Il combat son vertige pour être à tes côtés. Réfléchis bien Shaem…Si quelqu’un faisait ça pour moi, je pense qu’il serait difficile de me dire que c’est un simple ami… »

Mais elle savait au fond que c’était difficile pour Shaem de s’avouer la vérité.

« Si tu ne veux pas qu’il t’aime, si tu le considère juste comme un ami, il faut lui dire, lui expliquer...et ça calmement Shaem. Pas en lui hurlant dessus. »

Riant doucement elle plongea la main dans la pinte de bière où s’était enfoncé Ahimanu et le posa sur son épaule avec douceur.

« Mais avant de lui parler, il faut être sûr de la façon dont tu le considère… »

Prenant une autre frite, elle porta à son épaule et son petit dragon se jeta dessus, savourant le croustillant un peu gras de cette pomme de terre. Puis il lâcha sa petite bombe comme il savait si bien le faire :

« Si tu veux te le faire ton petit là, te prends pas trop la tête, vous êtes majeur tout les deux ! »

Moïra ouvrit de grands yeux et rouspéta :

« Ahi !! Tu n’a pas le droit de dire des choses comme ça, Shaem ne sait même pas quel genre de sentiments il porte à Maelen… »

Puis le dragon la coupa de nouveau.

« Allons Moïra, ouvre les yeux, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Shaem, vraiment, arrête ton petit manège, va lui que tu l’aimes et on sera tranquille… »

Ahimanu avait une tendance à la franchise qui exaspérait sa dragonnière. Mais après tout, il avait plus de six cent ans, il connaissait bien les tréfonds de l’âme humaine, il avait l’habitude de fixer les gens caché dans les cheveux de Moïra. Il avait certes vécu en ermite dans le désert mais il était capable de faire la différence entre un comportement amoureux et juste de la simple amitié. Pestant devant la remontrance de la jeune femme, il sauta sur la banquette et se roula en boule pour s’endormir en boudant.

« Vous voilez la face tout les deux ! » Rajouta t-il pour les achever avant de fermer ses paupières et s’endormir un léger sourire sur la gueule.

Clairement, il était perdu.
Le baiser de Maelen l'avait chamboulé et c'était peu de le dire. Il ne s'y était pas attendu, mais alors pas du tout. Il ne pensait pas que le jeune homme ait pu développer de tels sentiments à son égard.
Et surtout il ne voulait toujours pas y croire mettant ça sur le compte du jeune âge de Maelen. Le garçon avait certainement trop peu d'expérience dans le domaine et il s'était laissé perturber par la joie de leurs retrouvailles. Un peu chaotiques certes, mais dans le fond ils étaient contents de se retrouver. Et puis c'était à cet âge là que les hormones faisaient faire des choses que l'on pouvait fortement regretter par la suite.

Shaem se rappelait de l'enfant qu'il avait élevé.
Il n'était pas prêt psychologiquement à s'avouer qu'il avait tant ... grandi. Il se rappelait d'un enfant un peu capricieux qui l'appelait dès qu'il avait besoin de lui : parce qu'il était fier de ce qu'il venait d'accomplir, parce qu'il s'était fait mal, parce qu'il avait de la peine ... parce qu'il avait juste envie de le voir. Il ne connaissait pas ce jeune homme qui lui avouait être amoureux de lui.
Il avait peur de ces nouveaux sentiments venaient modifier la relation si particulière mais si intense qui s'était développée entre eux et qu'il savait toujours forte malgré les années d'absence.

Et Moïra n'alla pas vraiment dans son sens.
Elle n'était pas là pour le blesser ou pour forcément le contredire. Elle avait toujours été une oreille attentive dans les rares moments où Shaem s'était confiée à elle, mais elle savait le mettre en face de ses responsabilités et surtout de la réalité lorsque cela était nécessaire.
Elle lui dit judicieusement que :
* Maelen n'était certainement pas assez bête pour confondre amour et bonheur du à leurs retrouvailles
* Même lorsqu'ils étaient très contents de se revoir, les amis ne s'embrassaient pas sur la bouche
* Maelen s'était donné tout ce mal pour intégrer l'Académie, apparemment juste pour passer cinq ans avec lui ... quitte à devenir soldat et à affronter sa peur panique du vide. Et que ce n'était pas anodin.

Le Saabi soupira vaincu par tant de bon sens. Moïra n'avait pas son pareil pour lui faire voir cette réalité qu'il cherchait tant à fuir lorsqu'elle n'allait pas dans son sens. Elle lui expliqua simplement les choses, lui permettant de voir la situation dans laquelle il se trouvait à travers les yeux d'une tierce personne. Elle l'obligea à voir par-dessus ses aprioris et ses souvenirs périmés.
Finalement, il ne put qu'acquiescer lorsque la jeune femme lui conseilla d'aller lui parler, ce qu'il prévoyait de faire, mais pas avant d'avoir éclairci ses propres sentiments.

Il allait répondre un peu impulsivement à cette remarque sur ses sentiements écoutant, une nouvelle fois, plus son esprit que son cœur lorsque le petit dragon de son amie décida de se mêler de leur conversation. Il apporta son point de vue plutôt ... tranché sur le sujet et Shaem manqua de s'étouffer avec la frite qu'il venait de porter à ses lèvres.
Le rouge lui monta aux joues sans qu'il puisse rien y faire. Hier encore, il voyait Maelen comme un enfant n'acceptant pas de le voir si grand. Alors oui il était encore très loin de le voir comme un potentiel partenaire sexuel.

Bien entendu, il oubliait volontairement un petit détail.
Il avait répondu au baiser de Maelen.
Il oubliait que son instinct premier n'avait pas été de repousser Maelen lorsqu'il l'avait embrassé, mais bel et bien d'entrouvrir les lèvres pour approfondir le soudain baiser. Il avait raffermi la prise qu'il avait sur lui, il avait collé instinctivement ses hanches contre les siennes pour emboiter leurs corps et le sentir tout contre lui ... et il avait encore l'impression de sentir sa langue qui venait caresser ses lèvres.
Mais c'était bien trop à accepter d'un coup, la marche était trop haute et Shaem avala une longue gorgée de bière alors que le petit dragon le fixait de ses yeux bleus terminant de l'achever avec sa propre interprétation de la situation.
Le tout fut dit calmement mais clairement, puis Ahimanu n'attendit pas son reste sautant sur la banquette pour piquer un petit somme les laissant se débrouiller avec la grenade qu'il venait de dégoupiller. Shaem posa son verre pratiquement vide, inspira puis soupira essayant visiblement de se libérer de cette tension qui le pesait tant.

« Je suis complètement paumé ... ça fait beaucoup trop d'un coup »

Il s'appuya tout contre le dossier de sa banquette et leva une main pour appuyer un instant ses doigts sur ses yeux. Ses paupières se fermèrent et ce fut le visage peiné de Maelen, les yeux emprunts d'une douleur réelle et envahis par les larmes, qui lui revint en mémoire.
Il laissa retomber sa main et rouvrit les yeux pour chasser cette image qui étreignait douloureusement le cœur.

« Il y a seulement deux semaines de cela, je ne savais même pas ce qu'il devenait. Je le vois encore comme l'enfant que j'ai élevé »

Ils étaient liés.
Le lien entre eux était fort, il savait que ses dix ans d'absence ne l'avait pas altéré.
Il l'avait certainement modifié, mais il ne parvenait pas encore à savoir à quel point.

Huit ans de différence, ce n'était pas rien.
Et puis il était professeur, Maelen était l'un de ses élèves.
C'était tellement facile de se trouver des excuses.

« Merci pour tes conseils en tout cas. Ça devrait m'aider à y voir un peu plus clair »

Après tout sans les conseils de la jeune femme, il aurait certainement fini par perdre patience. Il aurait coincé Maelen à la fin d'un de ses cours ou au détour d'un couloir pour pouvoir lui parler et mettre les choses au point entre eux.
Et il aurait très certainement fini par se disputer à nouveau. Parce qu'il serait resté buté, troublé par toutes ces informations qu'il avait du mal à digérer. Il fallait qu'il réfléchisse.

Mais avant tout, il avait besoin de se vider l'esprit.
Il commanda une petite dizaine de shooters à la serveuse avant d'offrir un sourire espiègle à Moïra.

« Tu vas bien m'accompagner ce soir en souvenir des fois où l'on a fait le mur pour venir boire ici »

Ahi n’avait pas son pareil pour mettre les gens mal à l’aise. Il ne mâchait jamais ses mots et était souvent exaspéré par la lenteur des humains dans leurs actions. Leurs espérances de vie étaient pourtant beaucoup plus courtes que celle des dragons.
Moïra le fixa et poussa un long soupir avant de poser sa main sur celle de Shaem. Il savait que les mots du dragon allaient le chambouler un peu. Mais au moins, il aurait le mérite de le faire vraiment réfléchir.
S’enfonçant dans son siège, elle vit la petite blanche remplit d’une dizaine de verre et elle rit de bon cœur, tapant sur la table, prête à en découdre avec Shaem. Il ne servait à rien de ressasser, maintenant le Saabi devait prendre sa décision seul. Elle n’avait pas à influencer ses choix, même si au fond d’elle-même, elle doutait que se soit une bonne idée que le brun se mette avec ce garçon. Elle l’aurait plutôt vu avec quelqu’un de plus âgé, plus mâture…Mais c’était le choix de Shaem et elle le respecterait.

Alors elle prit le premier verre et trinqua avec lui, puis le porta à sa bouche et avala le liquide d’un trait. L’alcool lui brûla la gorge et s’insinua dans son sang. Riant, elle enchaîna avec le deuxième et le troisième et sentit sa tête lui tourner légèrement.

« Va falloir que tu me ramènes chez moi Shaem… » Riant, elle avala le quatrième et le cinquième commença à tanguer devant ses yeux.

Elle tenait bien l’alcool, peut être par expérience, mais elle préférait avaler des tonnes de bières, ou siroter des cocktails que d’avaler des shooters aussi rapidement. Mais cela lui rappela combien de bêtises elle avait fait avec Shaem pendant leurs années à Lindorm.
L’école avait beau être militaire, il s’y passait les mêmes choses que dans les autres écoles, certains faisaient le mur, d’autres découchait, il y avait des endroits réputé discret pour se retrouver, certains dormait à la belle étoile avec leur dragon.
C’était la belle vie, une vie qui lui semblait maintenant presque lointaine.

Souriant, elle porta le cinquième verre à sa bouche et l’alcool roula sur sa langue. Il effaça d’un trait sa nostalgie et elle se leva pour entraîner Shaem contre elle et danser dans ses bras lentement. Sa tête se posa sur son épaule réconfortante et elle poussa un soupir de bien être. Elle aurait aimé que le Saabi ne soit qu’à elle, qu’il l’aime et la regarde avec amour. Mais ce n’était pas le cas, alors, elle profita de leurs derniers instants et savoura leurs douces retrouvailles.

Elle était persuadé qu’un jour, elle aussi elle rencontrerait quelqu’un…Quelqu’un rien que pour elle.